Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur l'actualité bruxelloise et européenne.
Quoi de neuf en Europe ?
Aujourd’hui, on va parler de l’accord de libre échange entre l’UE et les pays du Mercosur, car ce vendredi 6 décembre, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé la conclusion des pourparlers en affirmant cet accord devait être considéré comme une victoire pour l’Europe.
Mais, qu’est ce que c’est exactement le Mercosur ?
Le Mercosur est l’abréviation de Marché commun du Sud et c’est une zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud, notamment le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et la Bolivie.
Et que vient faire l’Europe dans tout ça ?
L’accord de libre échange dont fait acte Ursula Von der Leyen cette semaine est loin d'être une nouveauté, car les négociations ont été initiées en 1999. Elles avaient abouti à un premier compromis en 2019, mais qui n’avait pas été validé à l’époque, et les négociations n’ont repris qu’en 2022. Ce texte constituerait le traité de libre-échange le plus important jamais conclu par l’UE. Il concernerait 780 millions de personnes et entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations.
Est-ce que cela signifie que cet accord va entrer en vigueur ?
Alors, non, ce que vient d’annoncer Ursula Von der Leyen, c’est la fin des négociations. Car en vertu des traités européens, la Commission est seule négociatrice des accords commerciaux au nom des 27 États membres de l'UE. Ce geste d’Ursula Von der Leyen est très fort politiquement, mais le chemin vers la ratification du Mercosur reste semé d'embûches, il faut encore compter 6 à 8 mois de travail de traduction, d’analyse juridique des textes et surtout de négociation avec les Etats membres et le Parlement européen avant une éventuel signature.
Et donc la Commission ne peut pas le signer seule ?
Non, elle doit avoir à la fois l’approbation du Conseil de l’UE, c'est-à-dire des Etats membres, et du Parlement, donc des élus européens. Et là, il y a deux procédures possibles. Le Mercosur est un accord « mixte » qui nécessite l’approbation des Etats membres, du Parlement européen, puis d’une ratification de tous les Parlements nationaux selon les règles de chaque Etat. Mais, pour contourner cette exigence d’unanimité, la Commission peut tout à fait choisir une autre voix : scinder l’accord, ne faire valider que son volet commercial, le commerce étant l’une de ses compétence exclusive et la règle lui est donc plus favorable.
Mais ça ne lui donne pas non plus tout pouvoir…
Non, même si elle choisit ce chemin, elle doit tout de même obtenir un feu vert du Parlement européen à la majorité ce qui n’est pas gagné à ce stade et elle doit aussi convaincre une majorité qualifiée des représentants des Etats, c’est-à-dire au moins 15 Etats membres représentant 65% de la population européenne. C’est à cette condition que le Mercosur peut s’appliquer.
Mais on remarque une forte opposition de la France à cet accord de libre-échange. Sur quel point ? La France a-t-elle le pouvoir de bloquer cet accord ?
Les effets négatifs de l’accord sont particulièrement mal vécus chez les agriculteurs. Bien que défendant des modèles différents, les principaux syndicats d’agriculteurs se mobilisent contre l’arrivée massive de denrées alimentaires sud-américaines sur le marché français, qu’ils voient comme une concurrence déloyale pour leurs filières. De leur côté, les militants écologistes s’inquiètent des conséquences environnementales de l’accord, en particulier concernant le respect des accords de Paris de 2015 sur le climat.
De cette manière, la France essaie de réunir une minorité de blocage. Pour cela, il faut convaincre au moins 4 pays qui représentent 35% de la population européenne et à ce stade rien n’est sûr car les positions des pays peuvent largement changer d’ici quelques mois.
Est-ce que la France pourrait refuser d’appliquer ce traité ?
Emmanuel Macron, effectivement, a répété le 17 novembre qu'il ne « signerait pas en l'état » le traité de libre-échange, mais il n'a pas le pouvoir à lui seul de stopper son adoption par l'UE. La Commission dispose d’un mandat de négociation de la part des 27 Etats membres de l’UE, dont la France, pour finaliser l’accord avec le Mercosur. Ce mandat avait été accordé en 1999, sous la présidence de Jacques Chirac, et n’a pas été remis en question depuis. Donc si le traité est bel est bien ratifié, il s'imposera à l’ensemble des pays membres de l’UE, que la France le veuille ou non. Le marché unique européen impose en effet une politique douanière commune aux 27 Etats membres, qui n'ont pas la possibilité légale, ni matérielle, d'imposer leurs propres droits de douane.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.