Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur l'actualité bruxelloise et européenne.
Alors Fanny, dites-moi : quoi de neuf en Europe ?
Alors aujourd’hui, l’actualité européenne nous vient paradoxalement tout droit des Etats-Unis. Le jeudi 3 avril, le New York Times a publié un article annonçant que la Commission européenne préparait une amende de plus d’un milliard de dollars à l’encontre de X, le réseau social d’Elon Musk.
Que lui est-il reproché ?
Eh bien, suite à une enquête menée par la Commission européenne depuis décembre 2023, la plateforme a été mise en cause pour sa lutte insuffisante contre les contenus illégaux et la désinformation en ligne. Elle serait notamment soupçonnée d’avoir instrumentalisé ses algorithmes pour rendre plus visibles certains contenus jugés illicites. Le système de vérification des profils par une coche bleue « Premium » serait aussi considéré comme trompeur pour les utilisateurs. De ce point de vue, X ne respecterait pas les dispositions prévues par le Digital Services Act d’août 2023.
Peut-être un petit rappel sur le contenu de ce fameux Digital Services Act ?
Bien sûr ! Alors, celui qu’on appelle aussi le règlement sur les services numériques vise à mieux protéger les internautes européens contre les contenus dangereux, violents et illicites présents en ligne. En clair, cela signifie filtrer le contenu pour éviter que vous tombiez sur un massacre à la tronçonneuse ou une publication faisant la promotion du terrorisme au détour d’une vidéo de chat à croquer. Et donc, Musk (et sa promotion de l’extrême-droite allemande et de la réduction du fact-checking) fait fausse note dans ce tableau.
Une réaction peut-être du côté de Musk après la publication de l’article du New York Times ?
Cela va sans dire ! X a réagi en dénonçant un potentiel « acte de censure politique » qui portait « atteinte à la liberté d’expression. » La plateforme a également annoncé qu’elle mobiliserait toutes les ressources nécessaires pour défendre ses activités et « protéger la liberté d’expression en Europe. » Il me semble important de faire remarquer à nos auditeurs qu’il existe différentes conceptions de la liberté d’expression, absolue ou limitée par le respect de la liberté d’autrui. Mais quand tout devient opinion et que même l’autorité de la chose jugée en France ou une sanction justifiée de la Commission européenne se retrouvent contestées au nom de la liberté d’expression, les mots perdent de leur sens. Et la vérité aussi.
Comment ça ?
« La vérité c’est le mensonge », cet oxymore ne vous rappelle rien ? Il a tout de même des échos très orwelliens et instille le doute sur la véracité des griefs adressés à l’encontre d’Elon Musk. Pourtant, X ne serait pas la première plateforme à être sanctionnée de la sorte par l’UE. En effet, les régulateurs européens ont déjà infligé des milliards d’euros d’amendes à Meta pour violation des règles de la concurrence et de la protection des données.
Alors, cela signifie que X pourrait réellement être sanctionné à la fin de cette enquête ?
Il est fort probable que la Commission rende des conclusions en faveur d’une sanction d’ici l’été. D’autant que s’ajoutent à cette enquête des enjeux géopolitiques et sécuritaires fondamentaux dans un contexte de montée des tensions entre l’UE et les Etats-Unis.
De manière générale, cette affaire soulève la question de la manipulation du contenu en ligne, mais aussi celle de la prolifération générale des publications disponibles sur les plateformes numériques. Qui a certes des conséquences en matière de désinformation. Mais également d’autres conséquences majeures sur l’environnement, le climat et la consommation énergétique des Etats : en effet, si le numérique était un pays, il serait à la 3e place du plus grand pollueur après les Etats-Unis et la Chine en consommant 10% de l’énergie mondiale produite.
Et ça, la soi-disant immatérialité du numérique et de l’IA a vite tendance à nous le faire oublier.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.