Olivier Costa, Directeur au Département d’études politiques et de gouvernance européenne au Collège d’Europe
Mercredi matin, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, est intervenue devant le Parlement européen, pour faire son troisième discours sur l’État de l’Union. De quoi s’agit-il ?
C’est un discours au cours duquel la Présidente de la Commission dresse les perspectives pour l’Union dans l’année à venir. Il est suivi des interventions des représentants des différents groupes politiques. Il est organisé chaque année depuis 2010, en conséquence des nouvelles règles de nomination de la Commission introduites par le traité de Lisbonne. Il ressemble au Discours sur l’État de l’Union que fait le Président américain devant le Congrès… Les acteurs des institutions de l’Union s’inspirent beaucoup des systèmes politiques nationaux pour faire évoluer leurs pratiques. Souvent, il s’agit des régimes des États membres, mais parfois, ils trouvent leurs idées hors d’Europe, notamment aux Etats-Unis.
Mais la Présidente de la Commission est-elle dans la même position que le Président américain ?
Pas du tout, car elle a beaucoup moins de pouvoirs que lui. Le statut de ce discours est donc différent, et assez incertain en fait, en raison de la nature ambiguë de la Commission européenne et de ses rapports avec les autres institutions.
Qu’entendez-vous par-là ? Les traités sont pourtant précis…
Pas tant que cela. Au fil des révisions, ils mêlent les inspirations et les logiques, si bien qu’on peut les interpréter de différentes manières. Si l’on considère que l’intégration européenne reste fondamentalement marquée par les choix des origines, on va dire que la Commission conserve un rôle très central. C’est en effet elle qui prend les initiatives législatives, qui gère les politiques et le budget, qui négocie au nom de l’Union à l’échelle internationale, qui a les moyens humains. On peut alors voir le discours sur l’État de l’Union comme le moment où la Présidente de la Commission affirme son leadership. Le Parlement européen n’est qu’une caisse de résonnance de ce discours et le Conseil n’a rien à dire.
Effectivement. Mais quelle serait la deuxième vision des choses ?
On peut considérer que l’Union prend un tournant fédéral, parce que les élections européennes sont de plus en plus importantes, qu’elles commandent la nomination de la Commission et son programme, parce que tout le monde a compris que les crises se gèrent à Bruxelles. Le discours sur l’État de l’Union symbolise alors la relation politique qui existe entre la Commission et le Parlement européen – et plus largement les citoyens. Mme von der Leyen a en effet été choisie en fonction du résultat des élections européennes et « élue » par le Parlement européen. Elle doit donc lui rendre des comptes, pour continuer à bénéficier du soutien d’une majorité de députés européens.
La Présidente de la Commission est donc une sorte de cheffe d’un gouvernement européen... Et quelle serait la troisième vision ?
Si on insiste sur le rôle des États membres et sur l’importance des négociations au sein du Conseil et du Conseil européen, on ne considère plus la Commission comme le moteur de l’intégration européenne. C’est une simple organisation administrative, qui met en œuvre ce qui a été décidé par les représentants des États. Dans cette perspective, la Présidente de la Commission n’est pas un leader politique, mais la cheffe de cette administration. Elle doit rendre des comptes au Conseil et au Parlement européen, notamment à l’occasion du discours sur l’État de l’Union.
Mais où se situe la vérité?
Quelque part entre les trois. Quand on écoute le discours de Madame von der Leyen, on voit bien qu’elle navigue à vue entre ces trois logiques : elle doit affirmer son leadership, mais aussi veiller à sa relation politique avec le Parlement européen, tout en évitant de braquer les États membres…
Entretien réalisé par Laurence Aubron