Luca Izzo est étudiant en master d’Etudes politiques et de gouvernances européennes au Collège d’Europe. Il a précédemment étudié à l’Ecole polytechnique où il a suivi une formation scientifique d’ingénieur et une spécialisation en affaires publiques. Il est ingénieur-élève des Ponts, des Eaux et des Forêts, et travaillera après ses études au sein de l’administration française sur des thématiques liées à la transition écologique.
Merci d’être aujourd’hui parmi nous pour nous parler de politique environnementale et de lutte contre la désertification. Peut-être pouvez-vous commencer par nous en donner une définition ?
Bonjour et merci beaucoup de me recevoir. Alors effectivement il est important de commencer par poser les termes, étant donné que la désertification est une notion souvent mal comprise. La désertification est définie comme « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par une suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». Elle n’est donc absolument pas liée à une quelconque progression du désert, mais relève bien de la problématique plus générale de la dégradation des terres dans des régions particulières, qui survient lorsqu’un écosystème n’est plus capable d’assurer de manière autonome des fonctions vitales liées aux sols. Cela peut être lié aux pratiques agricoles, au réchauffement climatique ou à l’urbanisation, notamment. D’ailleurs, on substitue de plus en plus l’acronyme de DDTS (pour désertification, dégradation des terres et sécheresse) à la notion mal comprise de désertification, afin de souligner le lien entre ces phénomènes environnementaux et de proposer des solutions transversales.
Pouvez-vous préciser comme s’organise le cadre international de lutte contre les DDTS ?
Tout à fait. Celui-ci s’organise autour de la Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification, ratifiée par 197 pays et qui trouve son origine dans le sommet de Rio de 1992. Mal connue, elle n’en est pourtant pas moins un forum essentiel de discussion et de prises de décisions, organisant des Conférences des Parties (les fameuses COP) tous les deux ans. La dernière s’est justement tenue à Abidjan, en Cote d’Ivoire, du 9 au 20 mai 2022, et j’ai eu la chance d’y participer en tant que membre de la délégation française, en pleine présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Et justement quel rôle a joué la Présidence lors de cette COP ? Et plus généralement, quel rôle joue l’UE dans ces discussions environnementales internationales ?
Le rôle de la Présidence du Conseil lors des sommets de la Convention désertification est essentiellement un travail de coordination, mais dont l’importance politique est capitale : il permet d’arriver lors des négociations avec une position commune à tous les États membres ce qui donne un poids crucial à la voix de l’UE dans les discussions sur les textes avec les autres États. D’ailleurs, d’autres groupes effectuent également des travaux de coordination similaires, notamment le groupe des pays africains. La Commission européenne joue également un rôle important lors des sommets environnementaux, participant aux discussions avec les États membres et au travail de coordination pour arriver à une position commune. Ce travail de coordination permet d’obtenir de réelles avancées et d’augmenter le niveau d’ambition des décisions, comme on a pu le voir à Abidjan notamment sur les questions d’égalités de genre, de lutte contre les déplacements forcés de populations et de prise en compte des problématiques foncières pour assurer une gestion durable des terres.
Plus spécifiquement, comment ces problématiques affectent l’Europe et quelles réponses l’UE peut y apporter ?
Croire que ces phénomènes de désertification, dégradation des terres et sécheresses se limitent à l’Afrique et à des régions éloignées est une grave erreur. La sécheresse qu’a connu l’Europe en été 2022 est un douloureux rappel que nous ne sommes absolument pas épargnés par les dérèglements climatiques, soulevant de lourdes questions sur la soutenabilité et la résilience de nos systèmes de production agricole et de consommation d’eau. La Méditerranée constitue d’ailleurs une région particulièrement vulnérable à ces phénomènes. Lors du discours sur l’Etat de l’Union, la présidente de la Commission Von der Leyen a annoncé le doublement de la capacité de lutte contre les incendies de l’UE. Mais une réponse réactive n’est pas suffisante face à l’ampleur des défis posés par les DDTS. C’est le sens de la stratégie de l’UE pour les sols à l’horizon 2030, qui devrait se traduire par le dépôt d’une proposition législative d’ici 2023 pour préserver la santé des sols européens et lutter ainsi contre la dégradation des terres
Et au niveau international, que dire de la politique de coopération de l’UE ?
Je me bornerai à citer une initiative, mais à l’importance capitale : la Grande Muraille Verte pour le Sahara et le Sahel, dont l’objectif est de restaurer des terres, créer des emplois verts et stocker du CO2 grâce à des programmes de gestion durable et de restauration dans 11 pays du Sénégal à Djibouti. Ce projet connaît un regain d’intérêt et de vitalité avec le lancement de l’Accélérateur de la Grande Muraille Verte, afin de mobiliser de larges financements de bailleurs internationaux pour soutenir l’initiative. L’engagement de l’UE est conséquent, porté par l’action de la Banque Européenne d’Investissement qui est l’un des principaux bailleurs de fonds de l’Accélérateur. Si ce projet atteint ses objectifs, il permettra de lutter efficacement contre les DDTS dans la région saharo-sahélienne tout en assurant des emplois stables et de combattre le dérèglement climatique.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.