Robin Antoine est étudiant au Master en Études Politiques et de Gouvernance Européennes au Collège d’Europe. Il est titulaire du diplôme de Sciences Po Strasbourg et d’un Master en Droit européen et international des affaires de la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion de Strasbourg. Dans le cadre de ses études, il s’est spécialisé dans la politique fiscale européenne et les finances publiques de l’UE. Robin a également travaillé au Ministère de l’Économie et des Finances français au service de la gestion fiscale des professionnel•les.
En 2017, l’ONG Oxfam estimait à quatre le nombre de paradis fiscaux dans l’Union européenne. Peut-on considérer qu’il existe une forme de dumping fiscal sur l’imposition des sociétés dans l’Union européenne ?
Depuis quelques années, on constate une importante baisse du taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés. Il est passé de 32% en 2000 à 21% en 2022. En fait, c’est la conséquence d’une compétition que se livrent les États dans l’élaboration de leur régime d’imposition et qui tentent d’attirer les bases fiscales les plus mobiles, notamment celles des sociétés.
La compétence de définir les régimes d’imposition est étroitement liée à la notion de souveraineté, d’où la réticence des États membres à confier cette compétence à l’Union européenne. Mais en même temps, l’intégration européenne s’est bâtie autour de la construction d’un marché intérieur qui vise à éliminer les obstacles à la mobilité des acteurs économiques et plus particulièrement des sociétés. Dès lors, les entreprises profitent des libertés de circulation pour choisir le système fiscal le plus avantageux parmi les 27 options qui leurs sont offertes. Pour conserver leur attractivité, les États conçoivent des régimes d’imposition qui allègent la charge fiscale des entreprises. C’est ça, la concurrence fiscale.
On imagine bien les risques que fait peser cette situation : baisse des recettes publiques, transfert de la charge de l’impôt sur les particuliers… Que peut faire l’Union européenne pour limiter les effets négatifs de cette concurrence fiscale ?
L’Union européenne joue un rôle d’équilibriste car elle doit concilier plusieurs éléments : limiter les effets négatifs de la concurrence fiscale, préserver la souveraineté des États membres et en même temps servir les objectifs de l’intégration européenne.
Dans un premier temps, les institutions européennes ont souhaité harmoniser les taux d’imposition et les règles de calcul de l’assiette, comme cela avait été envisagé à de nombreuses reprises par plusieurs propositions de directive. Mais dans l’Union, les actes relatifs à la fiscalité requièrent le rare accord unanime des États membres, l’unanimité correspondant à l’expression de la souveraineté des États. Cela a donc freiné les volontés d’harmonisation.
Cela signifie-t-il que l’Union européenne a échoué à réguler la concurrence fiscale ?
Non, loin de là, les institutions européennes ont essayé de contourner la règle de l’unanimité avec des instruments de soft law, c’est-à-dire des règles dont la force contraignante n'est pas absolue. Le Conseil Ecofin a adopté en 1997 un code de conduite dont l’objectif était d’établir une concurrence loyale et d’éviter les pratiques étatiques dommageables. Cet engagement politique a été efficace puisqu’il a permis, grâce au concours du droit des aides d’État, de démanteler tous les régimes fiscaux qui ont été considérés comme problématiques.
Face à ces résultats satisfaisants, peut-on finalement estimer que la concurrence fiscale a disparu ?
La situation est plus complexe. Le code de conduite se concentre essentiellement sur les mesures préférentielles, c’est-à-dire à celles qui octroient des avantages fiscaux spécifiques à certains contribuables. Pour sortir du champ d’application du code de conduite, certaines juridictions ont modifié leur régime général d’imposition, en réduisant par exemple leur taux d’imposition sur les sociétés à 0% ou en établissant des régimes attractifs d’application générale pour les droits de propriété intellectuelle.
En octobre 2021, plus de 130 États membres du Cadre inclusif OCDE/G20 se sont accordés sur une réforme d’ampleur des règles fiscales internationales. Ce nouveau contexte ne change-t-il pas la donne ?
Oui bien sûr, et cette réforme répond parfaitement à la problématique de la concurrence fiscale puisqu’elle instaure un taux minimum d’imposition de 15% pour les grandes multinationales. La Commission a profité de cette fenêtre d’opportunité pour relancer ses projets législatifs afin d’introduire des règles communes pour le calcul de l’assiette, notamment par la proposition de deux directives en 2023. Elle espère également harmoniser les législations nationales sur les prix de transfert qui correspondent à des transactions intra-groupes souvent utilisées par les sociétés pour localiser leurs bénéfices dans des juridictions à plus faible fiscalité. Par ailleurs, les États sont parvenus à un accord sur une réforme du code de conduite pour intégrer dans son champ d’application les mesures de nature générale.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.