Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges.
Pourquoi est-il nécessaire d'entreprendre des actions au niveau européen en matière de santé mentale ?
De récentes données montrent que des événements tels que la pandémie, les crises géopolitiques, ou encore l'anxiété climatique ont intensifié les défis liés à la santé mentale au sein de l'Union européenne.
Les coûts globaux des problèmes de santé mentale sont ainsi estimés à plus de 4 % du PIB dans tous les États membres, dépassant ainsi les 600 milliards d'euros annuels.
Ces considérations ont amené la Commission Européenne à réagir en proposant, le 7 juin 2023, une stratégie sur la santé mentale.
En quoi la stratégie sur la santé mentale consiste-t-elle?
La stratégie proposée avait été annoncée pour la première fois en 2022, suite à l'identification de la santé mentale comme l'une des principales préoccupations des citoyens européens lors de la conférence sur l'avenir de l'Europe. La stratégie dévoilée en juin 2023 décrit 20 initiatives phares financées à hauteur de 1,23 milliard d'euros sur le budget pluriannuel actuel, avec pour objectif d'aider les États membres de l'UE à "donner la priorité aux individus et à leur santé mentale".
Cela inclut des actions pour protéger les enfants dans le domaine numérique, une initiative européenne de prévention de la dépression et du suicide, ou encore un Code européen pour la santé mentale. La Commission prévoit en particulier une initiative de l'UE sur les risques psychosociaux au travail ainsi que des campagnes de sensibilisation à l'échelle européenne.
Parallèlement, le Conseil EPSCO (composé des ministres de la santé de l'UE) a approuvé le 30 novembre une série de recommandations et adopté des conclusions, mettant notamment en avant l'importance d'une approche transversale, soulignant la nécessité de la réintégration sociale et professionnelle après la guérison des problèmes de santé mentale pour éviter les rechutes, ainsi que la nécessité de lutter contre la solitude et les comportements suicidaires.
Le 12 décembre, le Parlement européen a adopté un rapport d'initiative préconisant une vision à long terme, globale et intégrée pour la santé mentale, tout en appelant à un financement direct accru pour répondre à la croissance des problèmes de santé mentale en Europe et identifier les populations à risque.
Comment cette stratégie développée par les différentes institutions s’inscrit-elle dans les compétences de l’UE?
Aux termes du TFUE, la santé publique relève par principe de la compétence interne des Etats membres, mais l’action de l’Union peut compléter ces politiques nationales.
Dans le cadre de la santé mentale, l’action de l’UE est régie par trois principes : une prévention adéquate et efficace, l’accès à des soins de haute qualité à coût accessible ainsi que la réintégration sociale et professionnelle des patients après leur rétablissement.
La stratégie actuelle vise donc une approche globale, reconnaissant la pluralité des facteurs de risque pour la santé mentale et des solutions à apporter.
Cette stratégie a t-elle été accueillie favorablement par les parties prenantes du secteur de la santé mentale?
Plusieurs organismes actifs dans le secteur de la santé mentale font preuve d’un optimisme prudent à l’égard de la stratégie.
Par exemple, EuroHealthNet, bien que favorable à une stratégie paneuropéenne sur la santé mentale, exprime des interrogations sur la convergence des différentes initiatives vers une approche stratégique globale.
EuroHealthNet, Eurocradres et la Confédération européenne des syndicats sont pour leur part sceptiques quant à l’efficacité de l’éventuelle directive sur les risques psychosociaux au travail évoquée par la Commission. La lenteur du processus décisionnel sur cette question jugée urgente par les parties prenantes est aussi pointée du doigt par Mental Health Europe, qui souligne le manque d'un outil pour évaluer les plans d'action nationaux qui seraient mis en place si la Directive était adoptée.
En conclusion, il est encourageant que l'engagement de l'Union européenne dans la promotion de la santé mentale se concrétise à travers une stratégie globale, dévoilée en réponse aux défis des dernières années. Les réactions mitigées des parties prenantes mettent toutefois en évidence la nécessité de mécanismes d'évaluation pour assurer l'efficacité de cette stratégie dans la réalité socio-économique complexe de l'UE.
Nina Guibère, assistante académique du département d’études politiques et gouvernance européennes du Collège d’Europe à Bruges, dont elle est elle-même diplômée . Elle est également diplômée en droit international, parcours administration internationale (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ainsi que d’un master bilingue en droit international et européen (Université Paris Nanterre). Ses thématiques de prédilection sont l’égalité des genres, les droits humains et l’Europe de la santé. Elle a précédemment travaillé entre autres à l’ambassade de France en Lettonie, à l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) ainsi qu’à l’Organisation de co-opération et développement économiques (OCDE).