Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers. Bonjour ! Aujourd’hui, vous m’invitez à imaginer un monde différent. Mais je ne fais que cela, mon cher ! En attendant, il faut bien faire avec celui qu’on a !
Vous n’avez pas tort. Mais je vais quand même vous demander de faire un petit exercice de fiction géopolitique.
Arrivez-vous à imaginer le chef de gouvernement allemand qui fait asseoir son homologue russe sur un banc sur les rives du Rhin, histoire de faire causette pendant des heures ? Pour aboutir au constat que la liberté, c’est comme le grand fleuve : tu ne peux pas l’arrêter ; tu peux faire un barrage, mais il finira par trouver un autre moyen de gagner la mer. Et le président russe se tait.
Joli scénario, mais j’avoue que j’ai un peu de mal à envisager cette scène.
Ce n’est pas fini ! Imaginez ensuite un président américain qui sait se faire discret et qui assure à son homologue allemand qu’il le laisse avancer avec le président russe, qu’il aura toute sa confiance, et qu’il lui propose un « partenariat de leadership ».
Et imaginez ensuite que tout ce petit monde, après avoir invité les chefs français et britannique à se joindre à eux, se retrouve à Moscou pour signer, de manière harmonieuse, un traité commun dans lequel il est acté, en quelque sorte, que ce n’est pas la peine d’arrêter le Rhin.
La géopolitique harmonieuse ? Très drôle ! Mais ça y est, je vois maintenant où vous voulez en venir. Vous évoquez la réunification allemande, dont on fêtera le 30ème anniversaire dimanche prochain.
Bien sûr. Le traité de Moscou, aussi appelé « Traité Quatre + Deux », puisqu’il était signé, le 12 septembre 1990, par les quatre puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et les deux Etats allemands qui avaient coexisté depuis 1949, a acté la réunification ordonnée de l’Allemagne en lui octroyant une souveraineté pleine et entière.
Permettez-moi de sortir les grands mots à cette occasion : en rétrospective, ce n’est rien de moins qu’un miracle historique.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
C’est simple : pour qu’elle puisse advenir, il fallait que soient réunies tant de conditions qui paraissaient entièrement hors atteinte. Deux mois seulement avant la fameuse signature, Helmut Kohl lui-même ne croyait pas que c’était réalisable.
Mais le hasard, la chance, le destin – choisissez le mot que vous voulez – ont voulu qu’il tombe sur Mikhaïl Gorbatchev, avec lequel il était possible de s’asseoir sur le bord du Rhin pour refaire le monde au sens littéral du terme, et sur George Bush père, qui savait conduire une diplomatie discrète, se taire quand il le fallait, et éviter de brusquer inutilement des sensibilités.
Trois hommes d’Etat qui ont réussi à nouer une relation personnelle de confiance, qui ont su saisir le vent de l’histoire, le fameux « Wind of Change » chanté par les Scorpions, et qui ont fait preuve de responsabilité devant une fenêtre d’opportunité, ouverte un bref instant et qui se serait vite fermée s’ils s’étaient comportés comme certains de leurs successeurs aujourd’hui.
En cette fin de semaine, vous allez lire pas mal de choses sur le bilan de la réunification allemande. Les médias rappelleront les réussites de ces trente dernières années, mais aussi les ratés et les décalages persistants entre Est et Ouest. Ils ont raison de le faire. Pour ma part, j’avais envie d’insister sur le caractère miraculeux de l’événement lui-même. Je n’en reviens toujours pas qu’il ait pu se produire.
En tout cas, la réunification a changé aussi l’Europe. Et aujourd’hui, justement, on attend beaucoup de l’Allemagne, au service de l’Europe.
Inévitablement. Et tout aussi inévitablement, on en reparlera dans cette chronique.