Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.
Cette semaine, Albrecht Sonntag nous parle ... « Ping Pong ». Cela doit être un poisson d'avril, non ?
Non, non, je suis très sérieux. Mais je présume que votre réaction était aussi celle de beaucoup d’Américains il y a 50 ans, en avril 1971, lorsque le gouvernement de Richard Nixon a décidé d’accepter d’envoyer une équipe de tennis de table pour ouvrir timidement la voie à de futures relations officielles entre les Etats-Unis et la Chine.
Ah, d’accord ! Il est donc question de la fameuse histoire de la diplomatie du ping pong !
Evidemment. Cette série de rencontres amicales qui ont eu lieu, sur invitation de Mao Zedong et Zhou Enlai, entre le 10 et le 17 avril 1971, opposant les champions chinois du tennis de table à une équipe de neuf joueurs américains, afin de célébrer l’humanisme du sport capable de surmonter les divisions idéologiques. Aucun exposé sur la diplomatie du sport ne saurait faire abstraction de cette belle histoire.
Il faut dire qu’elle a bien fonctionné !
C’est juste. Elle a brisé la glace, et c’est dès l’été 1971 que Henri Kissinger s’est rendu en Chine pour préparer une visite présidentielle officielle qui a finalement eu lieu en février 1972.
Il se trouve que le cinquantenaire de cet événement hors norme tombe dans une période où personne ne s’aventurerait à organiser des commémorations harmonieuses avec grands sourires des deux côtés. Tant les tensions sont nombreuses, les différends profonds.
S’en souvenir aujourd’hui m’amène à dresser un constat assez paradoxal.
D’un côté, la diplomatie sportive a pris une ampleur autrement plus importante ces dernières années. Un bon nombre de nations développe de véritable stratégie autour du sport, en escomptant des avantages en matière de rayonnement et de prestige (pour éviter le terme « soft power », plutôt galvaudé).
La Chine en fait partie. Elle est devenue un acteur principal de la diplomatie du sport sur plan mondial, appelé à organiser en février prochain des Jeux Olympiques pour la deuxième fois en douze ans seulement.
Et même l’Union européenne, pourtant pas un Etat-nation, s’y est mise. J’ai moi-même été invité à participer aux travaux de réflexion lancé par la Commission précédente à travers un genre de comité d’experts en 2015-2016. Nous avons formulé des recommandations qui se reflètent aujourd’hui concrètement dans plusieurs actions comme les nombreux projets consacrés au sport dans le cadre du programme ERASMUS+.Sans oublier l’intégration explicite du sport dans le « dialogue interpersonnel de haut niveau » des sommets Europe-Chine, dans le but de renforcer la compréhension et la confiance mutuelle.
Et à votre avis, ça marche ? Nous avons justement parlé la semaine dernière des gouffres idéologiques qui sont en train de se rouvrir à nouveau entre l’Occident et la Chine de Xi Jinping.
Je vous réponds par une petite anecdote révélatrice. Suite à un souhait exprimé par Angela Merkel et Xi Jinping, la fédération allemande de football a accepté de faire de la diplomatie sportive en intégrant l’équipe nationale chinoise des moins de 20 ans pour toute une saison dans un championnat de niveau régional allemand. Hors compétition certes, mais pour leur permettre de progresser et de s’aguerrir au contact permanent avec le football européen.
Les clubs n’étaient pas très chauds, mais ont accepté pour la bonne cause diplomatique. Au premier match de la saison, à Mayence, il y a eu, parmi les quelques centaines de spectateurs (la plupart des Chinois habitant en Allemagne) six activistes anodins avec une bannière en soutien de la liberté du Tibet.
Scandale ! Protestations virulentes du staff chinois, les joueurs ont dû quitter le terrain avant de revenir une fois que les activistes s’étaient laisser persuader de gentiment enrouler leurs drapeaux, l’ambassadeur allemand à Beijing s’est fait vigoureusement remettre à sa place, le projet plutôt bienveillant a été stoppé net. C’était en novembre 2017.
Et depuis ?
Rien. On n’a plus entendu parler de la cellule Chine mise en place à la fédération allemande.
Par contre, ce qu’on entend désormais ici et là en Europe ou ailleurs, ce sont des appels au boycott des JO à Beijing. Appels certes minoritaires et qui ne seront guère suivi d’effet, mais audibles.
Le sport reste un outil intéressant pour la diplomatie. Mais pour qu’il déclenche des effets salutaires, il faut qu’il y ait de la bonne volonté des deux côtés. Au moment des rencontres de ping pong il y a cinquante ans, c’était le cas. Aujourd’hui, on peut en douter.
Interview réalisée par Laurence Aubron
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Image par Brett Hondow de Pixabay