Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

Un monde politique, sans pitié : l'édito d'Albrecht Sonntag

Un monde politique, sans pitié : l'édito d'Albrecht Sonntag

L’édito d’Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management. Bonjour ! Aujourd’hui, vous me dites – je cite – que 

« nous vivons dans un monde politique,
où l’amour n’a pas de place ». 

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le prix Nobel de littérature 2016.

Relance :

Ah, c’est du Bob Dylan ?

C’est du Bob Dylan, en mode dépité. La chanson s’appelle « Political World », c’est l’un de ces poèmes sombres moitié explicites, moitié énigmatiques, dont il a le secret. J’y ai pensé en me documentant, au cours de deux dernières semaines, sur ce qui passe à la frontière de l’Europe, celle entre la Turquie et la Grèce, ainsi que sur l’île de Lesbos.

Récapitulons rapidement. Le président turc Erdogan s’est manœuvré dans un étrange micmac de pseudo-alliances avec ou contre la Russie, il ne sait plus très bien lui-même, dans des actes de guerre, liés à la bataille d’Idlib, qui fragilisent considérablement la frontière entre la Turquie et la Syrie. Depuis une semaine, il utilise des réfugiés actuellement hébergés en Turquie comme des pions dans sa guéguerre diplomatique avec l’Union européenne. En les envoyant vers la Grèce, il met la pression sur l’Europe

Dépassée par les événements, la police grecque fait usage d’une violence disproportionnée. Et elle est soutenue par son gouvernement, qui a simplement suspendu le droit d’asile et se lâche dans une rhétorique militariste. 

En soi, c’est déjà honteux. Mais que l’Union européenne, pour une fois comme un bloc, l’applaudisse des deux mains pour la défense acharnée de la forteresse, usant du même langage hostile, remerciant officiellement les Grecs de leurs actions inhumaines, pointant du doigt les Turcs en passant sous silence le fait qu’on a laissé, pendant des mois, et malgré des appels au secours, se dégrader la situation dans des camps surpeuplés où se tassent 40 000 êtres humains dans une saleté épouvantable, c’est tellement embarrassant que les mots, en tant que citoyen européen, me manquent. 

Et maintenant, pour enfoncer le clou, des groupuscules d’extrême droite, dont certains sont venus d’Europe de l’Ouest, s’attaquent violemment, oui, oui : physiquement, aux associations humanitaires sur place et aux journalistes. 

Je vous refais du Bob Dylan ? Même chanson :

« Nous vivons dans un monde politique,
où la miséricorde se fait supplicier. »

Relance :

C’est dur ! Et le plus dur, c’est que vous avez raison.

Tiens, vous en voulez une autre ? La voici : 

Nous vivons dans un monde politique
où le courage appartient au passé.

C’est une phrase écrite pour Angela Merkel. Elle, qui en août 2015 a refusé de fermer la frontière terrestre avec l’Autriche, ce qui a déclenché une vague de migration au cours de laquelle l’Allemagne a accueilli plus d’un million de demandeurs d’asile, semble aujourd’hui tétanisée à l’idée d’être traitée de « laxiste ». Face à la montée de l’extrême-droite, la fameuse AfD, et au déclin de son propre parti, le CDU, ni elle, ni aucun autre membre de son gouvernement, n’a plus aucun courage. Ils commencent à évoquer la possibilité d’aller chercher 1500 enfants non-accompagnés particulièrement vulnérables dans les camps grecs… Des enfants, c’est mignon, cela ne va pas énerver les électeurs, puis ils seront répartis entre cinq pays.

L’extrême-droite allemande a bien stagné à 15% des votes, elle a visiblement imposé son agenda, ses idées et son vocabulaire. 

Et la France ? Même chose : il ne faut surtout pas donner du grain à moudre aux prêcheurs de haine sur les plateaux télé ! Parlons-en le moins possible, surtout en amont des municipales. Tiens, cela tombe bien, on a le Coronavirus qui occupe l’espace médiatique à longueur de journée ! 

Relance :

Que peut, que doit faire l’Europe qui, après tout, n’est pas non plus responsable de ces guerres ?

Je laisse Bob Dylan répondre à ma place :

« Nous vivons dans un monde politique
où la paix n’est pas du tout la bienvenue. »

Les Machiavels du XXIème siècle – peu importe s’ils s’appellent Poutine, Erdogan ou Assad, qu’ils soient des Ayatollahs, des Seigneurs de Guerre ou de simples dictateurs – n’ont aucun intérêt à ce qu’il y ait une paix durable. Ni en Syrie, ni en Iraq, ni en Afghanistan, ni en Libye, ni en Ukraine, liste non exhaustive. Les conflits armés qui couvent, qui s’éternisent, cela projette de la puissance à l’extérieur et attise une cohésion basée sur un nationalisme agressif à l’intérieur. 

L’Union européenne est fondée sur l’idée même qu’il faut éviter la guerre. Est-elle naïve ? Faible ? Stupide ? En tout cas : déconnectée des réalités d’aujourd’hui, qui ne sont plus du tout celles d’il y a trente ans.

Va pour la naïveté, je peux vivre avec. Mais ce que l’Union est en train de perdre à la frontière grecque, ce n’est pas son influence ou sa puissance, c’est son âme.

Conclusion :Edito qui donne à réfléchir. A retrouver sur notre site, avec le texte et tous les liens. Sous la rubrique « Editos & Chroniques ». Comme une grande sélection d’éditos antérieurs d’ailleurs, pas tous aussi dépités.