Quatrième et dernier épisode de notre « spécial Allemagne » avec Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers. Bonjour, Albrecht !
Hier, vous nous avez parlé des incertitudes qui planent sur l’Allemagne et sa difficulté de se réinventer dans le monde du XXIème siècle. Aujourd’hui, vous parlez de « lâcheté ». A quoi faites-vous allusion ?
Je suis peut-être un peu dur en parlant de « lâcheté », mais l’héritage des années Merkel, ce n’est pas seulement celui d’une femme d’Etat respectée dans le monde entier pour sa capacité de rassembler des coalitions et de forger des compromis, mais aussi celui d’un manque de courage à l’intérieur.
Cela m’étonne un peu. Mettre fin, du jour au lendemain, à l’énergie nucléaire, comme elle l’a fait en 2011, cela demande quand même un certain courage. Ou accepter l’afflux massif de réfugiés en août 2015, cela aussi, c’était un acte courageux, vous ne trouvez pas ?
Vous n’avez pas tort, mais il faut prendre en compte que dans les deux cas, elle n’allait pas à l’encontre de l’opinion publique. Il y avait depuis longtemps une grande méfiance envers le nucléaire en Allemagne – « Atomkraft ? Nein Danke ! » – c’était un slogan qui a bercé mon adolescence déjà et qui était toujours d’actualité en 2011.
Et l’accueil des vagues de réfugiés en 2015 était moins une décision courageuse qu’une absence de décision de fermer la frontière. Et si Mme Merkel s’est abstenue de fermer la frontière – ce qui était en soi un acte humaniste, je le concède bien volontiers – c’est parce qu’elle se savait soutenue, là aussi, par une opinion publique prise dans un élan de générosité et d’hospitalité.
Aujourd’hui, six ans plus tard, après un énorme effort consenti par le pays entier et après la pollution du débat public par le discours d’une extrême-droite xénophobe qui a émergé entretemps, le gouvernement Merkel fait tout ce qu’il peut pour ne surtout pas donner l’impression de céder à une deuxième vague du même gabarit.
La chancelière sortante a fait preuve d’une habileté, d’une énergie, d’une patience, d’une intelligence et aussi d’une modestie hors du commun, mais elle n’a guère fait preuve de courage.
Y compris sur le plan de l’environnement, pourtant le domaine par lequel elle s’est fait un nom au début de sa carrière politique dans les années 1990.
Pourtant, on présente souvent l’Allemagne comme un leader en matière de transition écologique.
Cela se discute. Il est vrai que le développement des énergies alternatives est remarquable. Mais fixer la sortie du charbon à 2038 pour ménager les industriels et les mineurs, c’est limite scandaleux. Comme il n’a pas été très courageux de protéger pendant des années, y compris à Bruxelles, face à la Commission européenne, l’omnipuissante industrie automobile qui, aujourd’hui, tente de rattraper son retard dans la révolution électrique en cours.
Et construire, au moment où il faut tout faire pour réduire la consommation de combustible carbonique, un énorme pipeline pour acheminer du gaz russe au nez et à la barbe de l’Ukraine, de la Pologne et des pays baltes, cela aussi, c’est un signe de lâcheté.
Vous parlez du fameux projet Nord Stream 2 ? Effectivement, cela a tout l’air d’un cadeau fait à Vladimir Poutine.
C’en est un ! Certes initié, planifié et signé sous le prédécesseur d’Angela Merkel, Gerhard Schröder, mais nombreuses étaient les occasions de mettre fin à ce véritable pêché géopolitique. Et elle n’en a saisi aucune. Il est vrai que ce n’est pas facile, que ce sont de gros contrats, que cela déplairait au plus haut point à Monsieur Poutine, mais c’était possible. Ce qu’il fallait, c’est du courage.
Bref : mes hommages sincères à Madame Merkel. Elle est pour beaucoup dans la stabilité remarquable qu’a connue l’Allemagne ces dernières années. Mais s’il y a un terrain où son successeur pourra se démarquer d’elle, c’est celui du courage politique. L’agenda géopolitique et le défi climatique lui donneront amplement de quoi en faire preuve.
Laurence Aubron - Albrecht Sonntag
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