Toutes les deux semaines sur euradio, retrouvez la chronique Fréquence Europe de Radio Judaïca et l’Europe Direct Strasbourg, présentée par Olivier Singer.
Mercredi 24 avril, le Parlement européen a adopté une législation visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques telles qu'Uber ou Deliveroo. Que prévoit ce texte ?
Du 22 au 25 avril s’est tenue la dernière session plénière du Parlement européen de cette législature. Et ce n’est pas moins de 89 textes qui étaient au programme de cette dernière plénière marathon avec donc l’adoption à une très large majorité (554 voix pour, 56 contre et 24 abstentions) d’une directive relative aux travailleurs des plateformes. Cette Directive prévoit notamment de requalifier comme salariés de nombreuses personnes travaillant aujourd'hui sous statut d'indépendants comme chauffeur de véhicule ou livreur pour des plateformes.
Donc le travailleur des plateformes c’est celui qui travaille pour Deliveroo, Uber, Amazon c’est bien ça ?
Oui mais pas seulement ! Que ce soit dans les transports, la livraison de nourriture, les retraits d'achats, mais aussi dans le secteur du soin, de l’aide à la personne de la traduction, le champs est vaste et se développe rapidement depuis une quinzaine d’année déjà avec une forte accélération liée à la pandémie du Covid-19. Le travail via une plateforme numérique met en relation, par l'intermédiaire d'un site web ou d'une application, par exemple, une demande de service émanant d'un client avec la fourniture d'un travail rémunéré par une personne. Or, en générale, les plateformes considèrent ces travailleurs comme des indépendants. Ils ne sont pas salariés de l’entreprise, ils ne bénéficient donc pas du salaire minimum, des congés payés, ou du congés maladie... C’est souvent grâce à un autre emploi non lié aux plateformes numériques qu’ils disposent d’une protection sociale. Selon certaines estimations, plus de 500 plateformes sont actives dans l’Union européenne. Ce secteur employait plus de 28 millions de personnes à travers l’Union européenne en 2022 et ce chiffre devrait dépasser les 43 millions fin 2025. On estime aussi que sur ces 500 plateformes, 90% qualifient les personnes qui travaillent par leur intermédiaire de travailleurs non-salariés (ou travailleurs indépendants). Si la plupart de ces personnes sont réellement autonomes dans leur travail, de nombreuses personnes se trouvent néanmoins dans une relation de subordination par rapport aux plateformes, par exemple en ce qui concerne les niveaux de rémunération ou les conditions de travail.
Et c’est donc la question des faux travailleurs indépendants que l’Union européenne souhaite corriger ?
Oui, tout à fait, la Commission européenne estime que près de 5,5 millions de travailleurs des plateformes sont qualifiés à tort de non-salariés.
Et qu’a donc décidé l’Union européenne pour protéger les travailleurs des plateformes ?
Aujourd’hui, c’est à l’auto-entrepreneur de prouver qu’il existe un lien de subordination entre lui et la plateforme qui le paie. Depuis 2018, de nombreux chauffeurs VTC ou livreurs à vélo ont obtenu leur requalification en justice, partout en Europe. La directive cherche à harmoniser le statut de ces travailleurs à l’échelle européenne. Et pour cela, le législateur européen a prévu une présomption légale de l’emploi, c’est-à-dire qu’il incombera désormais à la plateforme de prouver l’absence de relation de travail. En fait, il a été décidé d’inverser la charge de la preuve. Ainsi, le travailleur de la plateforme qui souhaite être indépendant pourra le rester, mais ceux qui se voit attribuer un statut d’indépendant, sans bénéficier des droits et de l’autonomie associée et qui sont donc en situation de direction et contrôle pourront faire requalifier leur statut dans tous les pays l’Union européenne.
Certains observateurs estiment que ce texte reste flou car il dépendra beaucoup des transpositions nationales ?
Oui, s’agissant d’une directive, les Etats disposent de deux ans pour transposer ces dispositions dans leur droit national. Un accord politique qui précisait quels étaient les critères pour qualifier la présomption de salariat (la fixation de la rémunération, la supervision, les horaires ...) n’a pas abouti lors des négociations avec les Etats membres. Ce sont la France et l’Allemagne qui s’y opposaient, la France arguait des questions juridiques et l’Allemagne des descensions politiques au sein de sa coalition gouvernementale. Pour autant, cette directive a finalement été adoptée et si elle est appliquée de manière sérieuse au sein des Etats membres, elle permettra de déterminer le bon statut d’emploi des personnes qui travaillent pour des plateformes numériques et améliorera les conditions de travail d’un moins 5 millions de travailleurs.
L’Union européenne est ainsi la première à vouloir protéger les travailleurs des plateformes. Cette directive deviendra très certainement une référence mondiale. Qui a dit que l’Europe n’était pas sociale ?