L'Europe et le monde

Europe – GAFAM : la bataille pour la souveraineté numérique

Europe – GAFAM : la bataille pour la souveraineté numérique

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Cette chronique a été initiée et proposée par Justin Horchler, étudiant à Sciences Po Bordeaux, en 2023-2024 et est désormais animée par Ani Chakmishian.

On parle aujourd’hui des géants de la tech sous pression. Apple, Meta, et surtout Google, viennent d’être lourdement sanctionnés par l’Union européenne. Première question : que leur reproche-t-on exactement ?

L’Union européenne reproche à ces entreprises des abus de position dominante, c’est-à-dire d’avoir utilisé leur pouvoir économique pour empêcher la concurrence de se développer. Apple, par exemple, a été sanctionnée pour avoir limité les contacts directs entre les développeurs d’applications et leurs clients via l’App Store. Meta, de son côté, a enfreint les règles du Digital Markets Act, notamment en imposant des conditions d’utilisation de données personnelles contraires aux nouvelles normes européennes.

Justement, ce Digital Markets Act – le DMA –, c’est nouveau. De quoi s’agit-il ?

Oui, c’est un tournant. Le DMA est entré en vigueur en 2023. Il vise à encadrer ce qu’on appelle les "contrôleurs d’accès" : les grandes plateformes numériques qui agissent comme des passages obligés sur certains marchés. Le but, c’est de rétablir une concurrence équitable. En clair, les GAFAM ne peuvent plus imposer leurs règles comme avant : ils doivent garantir l’ouverture des marchés, la portabilité des données, l’interopérabilité… Et surtout, ils risquent désormais de lourdes sanctions en cas de non-conformité.

Et du côté des États-Unis ? Google est aussi poursuivi chez lui ?

Absolument. C’est même historique. Google a été reconnu coupable par un tribunal fédéral d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche, et une autre procédure vient de trancher en faveur de l’État américain sur le marché de la publicité numérique. Ce qui est intéressant, c’est que pour une fois, les autorités américaines et européennes se rejoignent sur le fond. Elles s’accordent sur le fait que Google a verrouillé ses positions de manière illégale.

Alors pourquoi ces tensions entre l’Union européenne et l’administration Trump ?

Parce que ce que l’Europe considère comme une politique de régulation légitime, les États-Unis, eux, y voient une forme de guerre économique déguisée. L’administration Trump dénonce des mesures protectionnistes visant spécifiquement les entreprises américaines. Elle a même accusée l’UE de "racket réglementaire". Résultat : le risque d’escalade commerciale est réel. Mais Bruxelles assume, et brandit son propre arsenal, notamment l’instrument anti-coercition adopté en 2022.

Et en pratique, est-ce que ces amendes vont vraiment changer le comportement de ces géants ?

C’est là tout l’enjeu. Les amendes, en soi, ne font pas trembler ces entreprises qui réalisent des dizaines de milliards de bénéfices chaque année. Mais ce qui compte, c’est la mise en conformité. Apple et Meta ont 60 jours pour se plier aux exigences européennes. S’ils ne s’exécutent pas, ils s’exposent à des astreintes quotidiennes. Et dans le cas de Google, la Commission pourrait même demander des changements structurels. On parle de démantèlement partiel ou de séparation d’activités.

Dernière question : l’Europe est-elle en train de devenir un "gendarme" du numérique mondial ?

Oui… et non. Oui, parce que l’Europe s’est dotée des règles les plus strictes au monde. Mais non, car elle reste dépendante des géants américains. Elle n’a pas encore ses propres "Big Tech". D’où un paradoxe : elle régule sans produire. Cela dit, cette fermeté pourrait encourager une souveraineté numérique à long terme – même si, pour l’instant, elle met surtout à l’épreuve les relations transatlantiques. Le président Trump ne peut pas rendre à la technologie européenne sa grandeur d’antan, car cela n’a jamais été le cas. Mais ses politiques pourraient involontairement contribuer à y parvenir.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.