Cette semaine, Sakina Ayata, maîtresse de conférence en écologie marine à Sorbonne Université, nous parle du photomaton du plancton. C'est bien ça ?
Oui, en effet ! Aujourd'hui je vais vous parler d'un système automatique pour prendre en photo le plancton. En fait les scientifiques parlent d'imagerie quantitative. C'est-à-dire d'images, qui sont prises de manière automatique, avec tout un tas d'appareils, comme des caméra sous-marines miniaturisées, des sortes de scanners utilisés au laboratoire. Puis, faire du quantitatif ça veut dire qu'on va pouvoir mesurer des choses : comme le nombre des organismes sur chaque image, leur taille, leur couleur, leur forme, ou même leur comportement. C'est un peu comme si vous plongiez avec votre caméra go-pro au-dessus d'un récif corallien, et qu'à partir de votre vidéo vous récupériez votre photo d'identité ou plutôt le passeport biométrique de tous les poissons et autres bestioles que vous auriez croisé.
Et ça c'est nouveau ?
Alors, non, pas vraiment. En fait, pendant longtemps, pour étudier la vie sous-marine, soit on plongeait : par exemple pour mesurer à la main la taille des coraux, soit on ramenait les échantillons d'eau au laboratoire pour identifier et compter les organismes au microscope. Puis des appareils ont été développés pour faire des prises de vue, et ces prises de vue sont maintenant automatisées. Par exemple, on utilise des micro-caméras, qui sont fixées sur des gliders - une sorte de planeur sous-marin autonome - qui ont une forme de torpille, qui parcourent les océans. Ce qui est nouveau c'est donc l'automatisation, qui permet de générer une importante quantité de données. Souvenez-vous, je vous ai parlé de ces "big data" la semaine passée. Si vous voulez savoir à quoi ça ressemble, vous pouvez taper "ecotaxa" ou "planktoscope" sur votre moteur de recherche préféré.
"Planktoscope" comme microscope, c'est ça ?
Oui c'est ça. C'est une sorte de petit microscope qui prend des photos et qui fait la taille d'une boite de chaussures et qu'on peut monter soi-même en kit. Ce petit appareil peut ainsi accompagner les voyageurs ou les marins d'eau douce, et leur permettre de prendre en photo le plancton qu'ils croisent sur leur route. C'est ce qu'on appelle de la science participative. En l'occurence ce sont ici les citoyens et les citoyennes qui génèrent des jeux de données qui pourront être utilisées par les scientifiques.
Et vous en faites quoi de toutes ces photos ?
Alors, au départ c'était les spécialistes du plancton qui se mettaient derrière leur écran d'ordinateur pour analyser les photos. Ou les spécialistes des poissons qui visionnaient les vidéos ; pour compter les organismes, les mesurer, les identifier. Mais maintenant c'est l'ordinateur qui fait une partie de ce travail. On utilise des algorithmes d'intelligence artificielle pour apprendre à l'ordinateur à reconnaitre automatiquement les espèces. Et donc ce sont les mêmes algorithmes que ceux qui vous taguent automatiquement sur une photo publiée sur Facebook. Ils reconnaissent votre visage de manière automatique, même s'ils ne vous ont jamais vu.
Et donc c'est l'ordinateur qui fait tout le boulot maintenant ?
Alors, non pas vraiment, parce que l'ordinateur, pour apprendre, il a besoin de s'entrainer. Pour ça on lui donne une grande quantité d'images qu'on a déjà analysées - donc par des humains -. On vérifie que l'ordinateur fait bien son travail avant de lui donner des images qu'il n'a jamais vu. C'est comme en classe : les élèves s'entrainent sur des problèmes connus, puis ils peuvent ensuite tenter de résoudre des problèmes nouveaux. On a donc toujours besoin de l'expertise humaine, et heureusement.
Et ces méthodes d'imagerie quantitative ne servent qu'à observer les océans ?
Non, vous vous en doutez. Ces méthodes d'imagerie quantitative et ces algorithmes d'intelligence artificielle ont de nombreuses applications. Par exemple, pour évaluer les stocks de poisson à la criée, estimer la qualité des eaux à partir des micro-algues indicatrices, mais aussi dans l'industrie pour inspecter la qualité des matériaux ou pour trier automatiquement les déchets dans les usines du tri. Et même encore en médecine pour détecter de manière précoce les cellules cancéreuses.
Interview réalisée par Laurence Aubron