Plongée dans les océans - Sakina Ayata

La résilience des écosystèmes marins

@Iryna Marienko sur Unsplash La résilience des écosystèmes marins
@Iryna Marienko sur Unsplash

"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.

Sakina, aujourd’hui vous allez nous parler de la résilience des écosystèmes marins. Mais avant de commencer, qu’est-ce que la résilience en écologie ?

En écologie, la résilience est un terme très utilisé qui a fait l’objet de nombreuses études, mais plusieurs définitions co-existent. Pour simplifier, on peut définir deux grands types de résilience. Le premier type, c’est lorsqu’un écosystème est perturbé et revient au bout d’un certain temps à son état initial, un peu comme un ressort qui serait comprimé puis reviendrait en place. C’est ce qui peut se passer en cas de petites perturbations.

Et quel est le deuxième type de résilience ?

Le deuxième type c’est ce que l’on appelle la « résilience écologique » qui est définie comme l’ampleur des perturbations pouvant être absorbées par un écosystème avant qu'il ne change d’état, et passe ainsi d’un état stable à un autre, ce que l’on appelle aussi un « changement de régime » ou un « point de bascule ». Ce concept est en particulier utilisé lorsque l’écosystème présente plusieurs états stables alternatifs et lorsque l’on considère des perturbations très importantes. On peut se l’imaginer comme une bille au fond d’un bol, où la bille représente l’état de l’écosystème. Si on pousse un peu la bille à gauche ou à droite, elle va retombée au fond du bol. C’est ce que l’on appelle un état stable. Mais si on pousse la bille trop fort, elle va finir par sortir du bol et rouler sur la table où elle va finir par s’arrêter, dans un nouvel état d’équilibre. Dans ce cas, la résilience mesure à quel point on peut pousser la bille avant qu’elle ne sorte du bol.

Et comment peut-on mesurer la résilience des écosystèmes ?

Dans le premier cas, où l’écosystème revient à son état d’origine après une petite perturbation, on peut mesurer la vitesse à laquelle l’écosystème revient à son état initial. Dans le second cas, où l’écosystème a plusieurs états d’équilibre stables, comme la bille qui peut être soit au fond du bol, soit sur la table, c’est plus compliqué, car il faudrait par exemple mesurer la forme du bol, que l’on appelle en écologie le paysage de stabilité.

Et c’est fréquent qu’un écosystème ait plusieurs états stables et passe d’un état à l’autre, ce que vous avez appelé un changement de régime ou un point de bascule ?

Ce n’est pas fréquent, mais c’est bien documenté ! En milieu marin, il y a 13 changements de régime qui ont été décrits, par exemple quand on passe d’un récif corallien très diversifié à un récif entièrement détruit après une tempête tropicale, ou alors quand on passe d’une forêt de laminaires, ces grandes algues brunes des eaux tempérées, à un désert peuplé d’oursins herbivores, ou encore quand on passe d’un écosystème riche en poisson à un écosystème plein d’organismes gélatineux.

Et à quoi sont dus ces changements de régimes ?

Dans l’exemple des récifs coralliens tropicaux, on sait que ces écosystèmes sont soumis à des perturbations comme la surpêche ou l’eutrophisation côtière (quand trop de nutriments sont apportés depuis la côte à cause des activités humaines). Cet écosystème perturbé est fragilisé, et ne pourra pas résister en cas de maladie, de tempête tropicale, ou de canicule marine (connues pour entrainer le blanchiment des coraux) qui vont jouer le rôle d’élément déclencheur. De manière similaire, dans le cas des forêts de laminaires, on sait que si l’écosystème est perturbé et que les prédateurs supérieurs disparaissent (comme les loutres par exemple), alors en cas stress thermique, de tempête ou de maladie, là encore on assite à un point de bascule et les oursins prennent le dessus, dévorant toutes les laminaires, et l’écosystème devient un désert. Dans ces différents exemples, l’écosystème est perturbé et ne peut plus faire face en case de perturbations importantes qui déclenche des changements de régime : l’écosystème n’est plus résilient.

Mais alors de quoi dépend la résilience d’un écosystème ?

On sait que les écosystèmes sont moins résilients s’ils sont surexploités, s’ils sont soumis à des stress multiples, ou si ces stress augmentent. Mais on a aussi pu mettre démontrer que ne nombreux facteurs pouvaient augmenter la résilience des écosystèmes, comme une grande biodiversité, une forte connectivité entre populations distantes, l’hétérogénéité de l'habitat, ou encore lorsque les écosystèmes abritent des espèces qui se ressemblent, c’est-à-dire qui assurent les mêmes fonctions au sein de ces écosystèmes. D’ailleurs, il existe des cas célèbres de résilience très forte des écosystèmes marins.

Quels sont-ils, ces exemples de très forte résilience ?

Parmi les exemples de résilience emblématique et bien documenté, on peut par exemple citer le cas des stocks de poissons après la Seconde Guerre mondiale. Avant la guerre, ces stocks étaient surexploités, puis la pêche commerciale s’est brutalement arrêtée pendant les 6 années de guerre, entre 1939 et 1945, ce qui a permis aux stocks de poissons de se reconstituer. Un autre exemple est celui des récifs coralliens de l’atoll de Bikini aux Îles Marshall (dans le Pacifique) qui ont par certains endroits été totalement détruits dans les années 50 lors des essais nucléaires menés par les Etats-Unis et qui, 50 ans plus tard, présentaient à nouveau une très importante biodiversité, avec 70% des espèces qui étaient à nouveau présentes. La bonne nouvelle, c’est donc que les écosystèmes peuvent être très résilients, et qu’il est même possible de favoriser leur résilience face aux perturbations.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.