Plongée dans les océans - Sakina Ayata

Le manchot empereur (épisode 2) - Plongée dans les océans #29

Le manchot empereur (épisode 2) - Plongée dans les océans #29

Nous retrouvons Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université pour sa chronique "Plongée dans les océans".

Sakina, cette semaine vous allez continuer à nous parler du manchot empereur, ce gros oiseau emblématique du continent Antarctique.

La semaine dernière, vous aviez commencé à nous raconter comment ces manchots se reproduisaient, et en particulier comment les mâles couvaient les petits sur leurs pieds, et restaient ainsi sans manger pendant plusieurs semaines.

Mais les manchots vivent en groupe, non ?

Oui, pendant la période de reproduction, qui correspond à l'hiver austral, les manchots rejoignent des colonies que l'on appelle manchotières. Il y en a une quarantaine tout autour du continent Antarctique et elles regroupent plusieurs milliers de manchots. Le manchot empereur est un oiseau très sociable et peu agressif. Pendant la couvée, les mâles d'une colonie se regroupent en se collant les uns aux autres pour se protéger du vent glacé et ne pas perdre trop de chaleur. Cette formation groupée est appelée "tortue". Les mâles alternent et se relayent entre l'extérieur et l'intérieur de la tortue, là encore limiter pour les pertes de chaleur. A l'intérieure d'une tortue, il peut ainsi faire jusqu'à 37°C !

Et la femelle pendant ce temps là ?

Et bien, pendant que le mâle couve l'œuf, la femelle se nourrit en mer et fait des réserves. Elle revient normalement sur la banquise juste avant l'éclosion, pour pouvoir nourrir le petit, qui nait vers la mi-juillet, sans plumes, avec une tête noire et deux tâches claires autour des yeux.

Et que ce passe-il si la femelle n'est pas revenue au moment de l'éclosion ?

Dans ce cas, c'est le mâle qui s’en occupe et le nourrit, même s'il n'a rien mangé depuis des semaines. Pour ça, il produit dans son œsophage une sécrétion appelée "lait de manchot" qui est très nutritive et qui permet au poussin de survivre et de grandir pendant une durée maximale de 2 semaines. Le manchot empereur est la seule espèce qui est capable de faire ça. Et quand la femelle revient, le petit passe du père à la mère en quelques secondes : là aussi il faut être rapide pour ne pas qu'il meure de froid. Puis le mâle part d'alimenter en mer pendant environ 3 semaines pour reprendre du poids. Ensuite, le poussin est nourri jusqu'à l'âge de 4 mois par les deux parents, qui régurgitent la nourriture qu'ils ont attrapés. Les poussins deviennent ensuite autonomes lorsque l'été antarctique arrive, c'est à dire en janvier-février.

Et, les manchots empereurs, que mangent-ils alors ?

Ils se nourrissent pour moitié de krill, mais aussi de petits poissons pélagiques et de petits calamars et autres céphalopodes. Lorsqu'ils partent pêcher, les adultes peuvent rester en apnée jusqu'à 20 minutes et plonger jusqu'à 400 mètres de profondeur.

Et ils ont aussi des prédateurs ?

Oui, plusieurs même ! Les poussins peuvent être mangés par des oiseaux prédateurs, comme le Pétrel Géant ou le Grand Labbe, aussi appelé Grand Skua. Quand aux adultes, lorsqu'ils partent se nourrir en mer, ils peuvent être mangés par des mammifères marins carnivores, comme le phoque léopard et par les orques.

Et avec le réchauffement climatique, j'imagine que les manchots empereurs sont menacés ?

Oui, cette espèce charismatique de l'Antarctique vit principalement sur la banquise, or la surface de celle-ci se réduit, et elle se forme plus tard et fond plus tôt, ce qui peut poser problème pour la période de reproduction. Et puis la disponibilité en krill diminue aussi avec la fonte de la banquise. D'ailleurs les populations sont en déclin, comme le montre maintenant l'observation par satellites. Pour le moment l'espèce est classée parmi les espèces "quasi menacées" sur la liste rouge de l'IUCN, l'Union internationale pour la conservation de la nature. Mais si le changement climatique continue à ce rythme, alors l'espèce pourrait être très menacée dans les 30 à 40 prochaines années.

Sakina Ayata au micro de Laurence Aubron

Tous les épisodes de "Plongée dans les océans" sont à retrouver ici