Cette semaine nous avons le plaisir de retrouver Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université, qui revient parmi nous pour la saison 2 de sa chronique "Plongée dans les océans". Bonjour Sakina. Pour cette nouvelle saison, vous avez proposé que les auditrices et auditeurs vous posent leurs questions sur les océans. Et comme on vient d'assister à plusieurs échouages de rorquals communs dans le Finistère, la première question de cette rentrée est de savoir s'il y en aura de plus en plus.
Bonjour Laurence. C'est une bonne question. On se souvient que cet été a été marqué par plusieurs événements, le plus souvent dramatiques, concernant des cétacés sur nos côtes et dans nos fleuves. Il y a tout d'abord eu, dans la Seine, une orque en juin 2022, un rorqual en juillet, puis un béluga en août. Et même si le rorqual est reparti, l'orque et le béluga, plutôt habitués aux eaux plus froides, avaient des comportements inhabituels et étaient malades. Ils n'ont malheureusement pas survécu. Et maintenant, on est début septembre, et ce sont deux rorquals communs qui viennent de s'échouer à quelques jours d'intervalle sur les côtes finistériennes.
Que sait-on de ces deux animaux échoués ?
Le premier animal a été retrouvé le vendredi 2 septembre dans le sud de l’île de Sein, au large du Finistère. Une équipe du Parc naturel marin d’Iroise, une aire marine protégée située au large du Finistère et qui englobe l'île de Sein, a pu déterminer qu'il s'agissait d’un mâle adulte de plus de 19 mètres de long pesant plus de 25 tonnes. L'origine de son décès demeure inconnue, mais le rorqual était extrêmement amaigri et en mauvaise condition physique. La préfecture a indiqué que la carcasse de l'animal avait été équipée d'une balise GPS, afin de pouvoir la retrouver si jamais elle est déplacée par la marée, puisque des grandes marées étaient attendues.
Et le second rorqual ?
Le second rorqual s'est lui échoué la semaine suivante. Il a été retrouvé le samedi 10 septembre 2022 sur la plage de Kermabec à Tréguennec, en baie d'Audierne, soit à une quarantaine de kilomètres au sud de l'île de Sein. L’équipe du Parc naturel marin d’Iroise a constaté qu'il s'agissait à nouveau d'un mâle adulte, mesurant cette fois un peu plus de 17 mètres. Ce second rorqual présentait lui aussi un état d'amaigrissement important.
Sakina, ce type d'échouage est-il fréquent ?
Ce n'est pas fréquent, mais ça arrive. Depuis 2011, des dizaines de cétacés se sont échoués sur les côtes du Finistère et on observe des échouage de rorquals tous les ans sur les côtes françaises. Ce que l'on constate, c'est que ces échouages sont de plus en plus fréquents.
Et pourquoi ces cétacés se retrouvent échoués ?
Il semblerait qu'il s'agisse d'animaux qui meurent dans une zone relativement près des côtes et donc leurs carcasses finissent par s'échouer. Une des raisons pour expliquer ce phénomène pourrait être que les populations de rorquals sont plus grandes que précédemment, en particulier grâce au moratoire de 1986 sur la chasse à la baleine. Celles-ci étant moins chassées, les populations de baleines augmentent, en particulier dans le Golfe de Gascogne. Ceci pourrait donc être vu, d'une certaine manière, comme une bonne nouvelle. Une autre raison pourrait être que ces animaux meurent à cause de collisions avec des bateaux. En l'occurrence, les deux rorquals retrouvés dans le Finistère présentaient un état de maigreur avancé. Ce sont donc des animaux qui ne s’alimentaient pas correctement, soit parce qu'ils n'ont pas trouvé assez de nourriture, soit parce qu'ils étaient malades. Les analyses qui seront menées sur ces carcasses pourront nous en apprendre plus.
On parle aussi d'autres facteurs qui pourraient être responsables de ces échouages ou de la présence de cétacés dans la Seine, comme la pollution, la pêche intensive, la pollution sonore, le déplacement du nord magnétique qui pourrait perturber leur orientation, ou encore les travaux pour construire des parc d'éoliennes en pleine mer.
Oui, en effet, tous ces facteurs sont susceptibles de perturber le comportement des cétacés, voire de causer leur mort. Mais nos connaissances actuelles ne permettent pas d'attribuer ces échouages ou ces événements à une cause particulière, surtout qu'on ne peut pas faire de généralités à partir d'un très petit nombre d'observations.
Ces échouages ou encore la présence de cétacés dans des zones inhabituelles sont donc suivis de près par les scientifiques ?
Oui, en effet. Il existe en France le Réseau National Échouages ou RNE. C'est le principal outil de suivi des échouages de mammifères marins. Il a été créé en 1972 et regroupe plus d’une centaine d’organismes et environ 500 correspondant·es. Il est piloté par l’Observatoire PELAGIS, un laboratoire affilié au CNRS et à l'Université de La Rochelle. Chaque année depuis 1992, le RNE publie un rapport sur les échouages observés sur les 5000 km de côtes françaises dans l'année qui vient de passer. Dans son dernier rapport sur les échouages de mammifères marins sur le littoral français, le RNE a recensé, en France métropolitaine, 2410 échouages de mammifères marins, dont 1965 cétacés de 13 espèces différentes. Ces échouages ont été principalement observés en Bretagne et en Gironde et étaient principalement dus à une mortalité record en hiver à cause de captures par des engins de pêche, en particulier pour le dauphin commun, le marsouin commun et le grand dauphin. Pour le rorqual commun, la cause de mortalité la plus fréquente était liée à une pathologie, ce qui pourrait être le cas pour les deux rorquals retrouvés dans le Finistère.
Merci Sakina. Nous vous retrouverons dans deux semaines et, d'ici là, les auditrices et auditeurs sont donc invité·es à vous envoyer leurs questions.
Oui, j'essaierai alors d'y répondre pendant les chroniques. Merci Laurence et à bientôt !