Aujourd'hui, nous retrouvons Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université, pour sa chronique "Plongée dans les Océans" sur euradio.
La dernière fois vous nous avez expliqué que le niveau des mers augmentait en raison de la dilatation thermique des océans et de la fonte des glaciers et des calottes glacières ; et que le niveau qui sera atteint à la fin du siècle dépend de la quantité de gaz à effet de serre que nous émettons aujourd’hui et que nous émettrons dans les prochaines années.
Oui, en effet. On sait maintenant que le niveau moyen des mers augmente, en ce moment même, de 4 mm par an et que l’augmentation pourrait atteindre, en suivant la trajectoire actuelle, de 65 cm à 1 m en 2100. La monté du niveau des mer entraîne 3 conséquences principales : les submersions côtières, l’érosion du littoral, et la salinisation des eaux.
Concrètement en France, ça veut dire quoi ?
Et bien, on voit déjà certains de ces effets. Tout d’abord, ça pose des problèmes d’érosion des sols, avec des dunes qui disparaissent et des falaises qui s’effritent. Vous avez peut-être entendu parlé de cet immeuble d’habitation de 4 étage, construit à la fin des années 60 sur une dune à Soulac-sur-Mer, en Gironde, qui a dû être évacué en 2014 puis a été détruit début 2023.... L’Outre-Mer est aussi touchée, et des habitants de Martinique doivent déjà quitter leur maison et se déplacer. Ces phénomènes d’érosion des côtes, causés par la hausse du niveau des mer, deviennent d’autant plus problématiques car les tempêtes hivernales deviennent plus fréquentes et plus intenses ce qui augmente les risques de submersion, même ponctuelle. Là encore, vous vous souvenez peut-être de la tempête Xynthia en 2010. Enfin, tout ceci entraîne également la salinisation des estuaires et des nappes phréatiques côtières.
Et donc, tout ceci va continuer ?
Oui. D’ailleurs, on peut trouver différentes cartes qui montrent les zones qui seraient submergées si le niveau des mer augmentait de 1 m, comme dans les prédictions du GIEC pour la fin du siècle. En France, on peut dores et déjà lister les régions qui seront les plus impactées : les environs de Calais, Gravelines, et Saint-Omer dans le Nord, l’estuaire de la Somme, la côte normande du Touquet au Tréport, l’estuaire de la Seine, jusqu’à Rouen et Elbeuf, la côte normande du côté de Cabourg et Ouistream, les marais du Cotentin et du Bessin dans la Manche, des zones plutôt agricoles du coté de Dol de Bretagne et le Sillon à Saint-Malo, le Golfe du Morbihan, les marais de Brière et l’estuaire de la Loire, le marais Breton-Vendéen, le marais Poitevin, un partie des îles de Noirmoutier, de Ré et d’Oléron, l’estuaire de la Gironde, au delà même de Bordeaux et Libourne, la digue de l’étang de Thau, toute une partie de la Camargue, et port-Fréjus dans le Var.
Et évidemment il n’y a pas que la France qui est menacée par la montée des eaux.
Oui, bien sûr, l’érosion et les risques de submersion augmentent partout sur la planète, que ce soit à Venise, sur la côte Est des États-Unis, ou pour les petits états insulaires du Pacifique. A l’échelle du globe, c’est 90% des zones humides côtières qui pourraient disparaître. Rien qu’en Europe, 10 millions personnes vivent à moins d’un mètre du niveau des mers : ces zones seront donc inondées de façon permanente. Enfin, à l’échelle globale, c’est 10% population mondiale, soit 1 milliard de personnes, qui seront affectées par les submersions côtières. L’impact économique de la hausse du niveau des mers pourrait ainsi atteindre 12 à 20% du PIB mondial en 2100. Il va dont falloir s’adapter.
Justement, vous nous aviez dit que vous nous parleriez des différentes pistes que propose le GIEC pour s’adapter à l’augmentation du niveau des mer.
Oui, en effet. Ce que le GIEC propose, c’est de mélanger plusieurs types de réponses ou de solutions pour s’adapter à ces changement. Celles-ci doivent elles-mêmes être adaptées localement à chaque zone concernée, et ces adaptations pourront varier dans le temps. Ce que recommande le GIEC c’est de commencer, à l’échelle de 5 ans par exemple, par se protéger, comme renforcer les digues et les dunes, ou installer des infrastructures comme des poteaux de bois pour casser les vagues et tenter de limiter l’érosion. Puis à l’échelle de 30 à 50 ans, il faudra prévoir des mesures dites « d’accommodation », pour « vivre avec » ces risques comme la construction sur pilotis, ou le drainage et le pompage des zones de polder. Enfin, à une échelle plus longue, d’ici 100 ans, les populations et activités côtières devront nécessairement se retirer et être redéployées ailleurs.
Et tout ça va coûter de l’argent j’imagine ?
Oui, mais moins que si on ne fait rien ! C’est pour ça qu’il est primordial de prendre consciences des risques encourus si nous n’agissons pas. Bien sûr, il faut une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre, mais il faut aussi penser à de nouvelles trajectoires pour adapter nos littoraux à une élévation du niveau des mers de 1 mètre, voire plus, et ceci doit être fait de concert avec les populations concernées.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.