Aujourd'hui, nous avons le plaisir de retrouvons Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université, pour une troisième saison de sa chronique "Plongée dans les Océans" sur euradio.
Sakina, on sait maintenant que les canicules sont de plus en plus fréquentes à cause du changement climatique. Et cet été, on a aussi beaucoup entendu parlé de canicules marines. Qu’est ce que c’est ?
Il s'agit donc d'épisodes d'augmentation extrême des températures de l'océan dans une zone donnée et un temps donné. En Europe, la Méditerranée est particulièrement concernée, comme on a pu l'observer en 2003, mais aussi plus récemment en 2023.
Ces canicules marines sont une cause directe du changement climatique ?
Oui, car si l’atmosphère se réchauffe, l’océan aussi. D’ailleurs les océans abritent un tel volume d’eau, qu’ils jouent un rôle de climatiseur naturel de la planète. Ainsi les océans ont absorbé 90% de l’excès de chaleur engendré par la libération de gaz à effet de serre par nos activités humaines. Pour rappel, la température moyenne des océans a augmenté d'un degré et demi pendant le siècle dernier. Et depuis une dizaine d'années on enregistre chaque année des températures moyennes de plus en plus élevées. Cette augmentation sur le long terme est l'un des effets du changement climatique. Mais ce dernier cause aussi une augmentation en fréquence et en intensité des épisodes de canicules marines.
Comment apparaissent les canicules marines ?
Elles sont causées par des conditions météorologiques inhabituelles, comme on a pu l'observer à l'été 2023 en Mer Méditerranée, et à des perturbations des courants marins. Avec une température atmosphérique élevée, l'absence de nuage, et l'absence de vent pour refroidir et mélanger les eaux de surfaces, des épisodes de canicules marines peuvent arriver. Ces canicules marines peuvent elles-même entraîner des conditions climatiques extrêmes, comme des cyclones et des pluies diluviennes, comme on l'a vu par la suite en Libye en septembre 2023, et perturber le cycle de l'eau, augmentant le risque d'inondation, de sécheresses, ou de feux.
Les canicules marines sont donc amenées à être plus fréquentes dans les décennies à venir ?
D'après le GIEC, il y aura en 2100 cinquante fois plus souvent des canicules marines qu'à l'ère pré-industrielle, et elles seront dix fois plus intenses. Elles toucheront, et touchent déjà, tous les océans de la planète, mais les effets les plus importants sont attendus en Arctique et dans les régions tropicales.
D’ailleurs, en raison du changement climatique, le nombre de canicules marines a déjà doublé depuis 1982, et le nombre total de jours de canicules marines a augmenté de 50% pendant le siècle dernier. Elles sont aussi beaucoup pour sévères. Donc si on résume, elles sont plus fréquentes, durent plus longtemps, et sont plus chaudes.
Et si on revient sur l'été 2023, que s'est-il passé ?
Et bien le service marin européen Copernicus a recensé des phénomènes environnements extrêmes sur toute la planète pendant les mois de Juin, Juillet et Aout 2023. D’ailleurs Antonio Guterres, le secrétaire de l'Organisation des Nations Unies, a tiré la sonnette d'alarme et parlé "d'ébullition planétaire".
En ce qui concernent les canicules marines, elles ont d'abord été observées dans l'Atlantique Nord en juin, avec plus de 23°C à certains endroits, soit 5°C de plus que la moyenne, où elles ont entraîné une diminution significative de la concentration en chlorophylle, ce pigment photosynthétique des algues que l'on peut observer depuis l'espace et qui donne une bonne idée de la quantité de phytoplancton en surface. On a même enregistré des baisses allant jusqu'à 50-60% de la concentration en chlorophylle.
En a ensuite beaucoup entendu parlé de la canicule marine qui a touché la Méditerranée.
Oui, en juillet 2023, c'est l'ensemble du bassin méditerranéen qui a été touché par de très fortes chaleurs entraînant des canicules marines et des températures de l'eau de plus de 30°C. La mer d'Alboran, qui se situe à l'extrême Ouest de la Méditerranée, a notamment été sévèrement touchée, avec une canicule qui a duré pendant plus d'un mois. Dans le reste de Méditerranée, le service marin Copernicus a mesuré des températures de la surface de la mer 5,5°C plus élevé que la normale, en particulier le long des côtes italiennes, grecques, et nord-africaines.
D'autres océans ont été touchés en août 2023 ?
Oui, une vague de chaleur a continué à s'intensifier en Atlantique tropical Nord ainsi que dans le Pacifique tropical, avec une température de 3° plus forte que la moyenne à cette période, ceci en raison de la formation du phénomène El Niño – Oscillation Australe, aussi appelé ENSO, qui d'après l'Organisation Météorologique Mondiale a démarré en juillet 2023 après 7 ans d'absence, et entraîne classiquement une augmentation globale des températures. Toujours selon Copernicus, plusieurs zones de l'Atlantique tropical, du Pacifique tropical, et du Pacifique Nord ont été affectées par des températures extrêmes pendant plus de 30 jours.
D’ailleurs, la prochaine fois, je vous parlerai des impacts de ces canicules marines sur les écosystèmes.
Le rendez-vous est pris !