Aujourd'hui, nous retrouvons Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université, pour sa chronique "Plongée dans les Océans" sur euradio.
Aujourd'hui vous allez nous expliquer pourquoi la mer monte et à quoi les zones côtières vont devoir se préparer pour les années à venir en raison du dérèglement climatique.
En effet. Dans son 6e rapport d’évaluation des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat, le GIEC indique, je cite, : « Il est sans équivoque que les activités humaines ont réchauffé l'atmosphère, les océans et les continents. À l’échelle globale, le niveau moyen des mers a augmenté de 0,2 m entre 1901 et 2018. »
Ce qui fait une augmentation de combien par an, en moyenne ?
Et bien le GIEC précise, je cite toujours : « Le taux moyen d'élévation du niveau des mers était de 1,3 mm par an entre 1901 et 1971. Il est passé à 1,9 mm par an entre 1971 et 2006, jusqu’à atteindre 3,7 mm par an entre 2006 et 2018. » Autrement dit, le niveau de la mer augmente, on en est sûr, et il augmente de plus en plus vite. Et tout ça, on le sait avec un niveau de confiance élevé, en particulier grâce aux observations.
Et comment observe t-on, ou mesure-t-on, le niveau des mers ?
À l’échelle globale, le niveau des mers est suivi depuis l’espace depuis une trentaine d’années à l’aide de satellites altimétriques, comme le satellite JASON3. Un tel satellite permet de produire des cartes du niveau des mers dépourvues de glace tous les 10 jours pour 95 % de la surface des océans. On dispose ainsi, depuis 1991, d’une vision globale du niveau des mers au large, qui met en évidence une augmentation du niveau moyen des mers avec également une forte variabilité spatiale, c’est-à-dire que l’augmentation n’est pas la même partout, ça varie selon les régions.
Et donc tout ça, c’est mesuré depuis l’espace ?
Oui en effet, mais pas uniquement, car les mesures satellitaires sont étalonnées, ou calibrées, à partir d’observations côtières réalisées soit avec des drones marins, des marégraphes radars, ou même à partir de la lecture directe du niveau de la mer sur des échelles de marées.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le niveau des mers augmente en réponse au changement climatique ?
Les activités humaines libèrent dans l’atmosphère des gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone ou le méthane, ce qui contribue au réchauffement global de notre planète à cause de l’effet de serre puisque ces gaz piègent la chaleur issue du rayonnement solaire dans l’atmosphère de notre planète. 90 % de la chaleur piégée est en fait absorbée par les océans et donc les océans se réchauffent.
Ce réchauffement induit deux phénomènes qui vont entraîner l’élévation du niveau des mer. Premièrement, l’eau chaude prend plus de place que l’eau froide, c’est ce que l’on appelle la dilatation thermique. Pour une quantité d’eau donnée, si la mer se réchauffe, alors son niveau augmente. Le deuxième phénomène, est la fonte des glaces continentales, en particulier des calottes de glace du Groenland et du continent Antarctique. En effet, en fondant, ces glaciers vont apporter de l’eau en plus dans les océans, et plus il y a d’eau, et bien plus le niveau des mers augmente.
Et comment ceci est amené à évoluer dans le futur ? Est-ce que la mer va continuer à monter ?
Et bien le GIEC indique avec certitude, je cite toujours, qu’« en raison de l'élévation inévitable du niveau de la mer, les risques pour les écosystèmes côtiers, les personnes et les infrastructures continueront d'augmenter au-delà de 2100. ». Le GIEC souligne également que, quelque soit le scénario envisagé pour les émissions de gaz à effet de serre, les évènements extrêmes de submersion côtière que l’on pouvait jusqu’ici observer tous les 100 ans allaient maintenant se produire une fois par an d’ici 2 100 pour plus de la moitié des zones côtières.
À beaucoup plus long terme, le GIEC indique également que dans les 2 000 prochaines années, le niveau des mers pourrait augmenter de 2 à 3 m si le réchauffement est limité à 1,5 °C et de 2 à 6 m s'il est limité à 2 °C.
Mais à court ou moyen terme, ceci pourrait même être pire.
C’est-à-dire ?
Et bien le GIEC précise aussi que plus la température augmente, plus le risque augmente qu’il advienne des événements extrêmes de submersion côtière plutôt peu probables, mais avec des impacts très importants. En effet, la manière dont va réagir la calotte glaciaire demeure incertaine. Il ne peut donc pas être exclu, même si ça reste peu probable, que le niveau moyen des mers augmente de 2 m d'ici 2100, 5 m en 2150, et de plus de 15 m d'ici 2300 pour des scénarios de fortes émissions de gaz à effet de serre.
Si je résume, ceci correspond à une situation peu probable, mais avec des conséquences très importantes en raison de la déstabilisation de la calotte glaciaire antarctique.
Oui, exactement. Mais ce qui est certain, c’est que l’augmentation du niveau des mers est inévitable et va durer pendant les prochains siècles, voire les prochains millénaires en raison du réchauffement continu des océans profonds et de la fonte de la calotte glaciaire. En conséquence, le niveau de la mer restera élevé pendant des milliers d'années.
Donc il est déjà trop tard ?
Non, il n’est pas trop tard ! Car si nous réduisons nos émissions de gaz à effet de serre de manière importante, rapide et soutenue dans le temps, alors il est possible de limiter l'accélération de l'élévation du niveau des mers et ainsi de limiter les niveaux qui seront atteints à long terme.
Parce qu’en fonction des scénarios d’émission, les prédictions varient, c’est ça ?
Oui. Le GIEC indique clairement que, si on compare par rapport à la période 1995-2014, l'élévation moyenne du niveau de la mer d’ici 2100 va atteindre 63 cm à 1,01 m d'ici 2100 pour les scénarios de très fortes émissions (appelés SSP5-8.5) alors qu’il n’atteindra que 0,28 à 0,55 m pour les scénarios où les émissions sont drastiquement réduites, c’est-dire pour les scénarios d’émission très faible (appelés SSP1-1.9). En résumé, le niveau des mers augmente, mais il est encore temps d’agir pour limiter cette augmentation.
D’ailleurs, la prochaine fois, je vous parlerai des différentes pistes que propose le GIEC pour s’adapter à l’augmentation du niveau des mers.
Le rendez-vous est pris.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.