Notre invité du jour est Andreï Vaitovich, journaliste et réalisateur biélorusse, qui vit et travaille en France. Avant l'explosion de l'épidémie de coronavirus, il était occupé à filmer les dernières scènes de son documentaire : AIDS ZONE.
Né dans la ville de Svietlahorsk, un espace profondément touché par le SIDA durant les années 90, Andreï a deja expérimenté les bouleversements d'une crise sanitaire sur une communauté. C'est pourquoi nous l'avons invité à Euradio pour nous parler de sa perception de ces deux crises très différentes, mais unies par l'échec du gouvernement Biélorusse à y faire face.
Quelle est la réponse du gouvernement de la Biélorussie face au coronavirus ?
"Il y a vraiment un problème de manque d'information. Le nombre de malades n'est pas relevé tous les jours par les autorités. Et depuis plusieurs jours, quand le Président prend la parole, il dit que la réaction globale face au Covid-19, c'est juste de la panique, de la psychose. Dans le monde, déjà plus d'un milliard de personnes sont confinées : c'est loin d'être le cas en Biélorussie.
On voit des informations qui viennent des journalistes indépendants, qui ne sont pas très positives. Mais les autorités ne confirment ni les chiffres, ni la propagation rapide de l'épidémie."
Alors que les matchs sportifs à travers l'Europe sont annulés, on peut toujours voir un match de foot en Biélorussie, et encore aller supporter le Président lui-même pendant un match de hockey sur glace. D'où vient selon vous cette posture d’immunité vis-à-vis du coronavirus ?
"Je pense que les autorités biélorusses - surtout le Président Alexander Lukashenko, qui est au pouvoir depuis 26 ans - vivent dans une réalité parallèle. Il y a un refus constant de reconnaître les problèmes sous leur véritable jour.
Lukashenko a aussi profité politiquement de tout cela. Il dit que c'est peut-être un virus, qui a été inventé par l'Homme. Et puis, il s'en prend au président Macron pour dire qu'il s'agit peut-être de quelque chose créé pour faire sortir les 'gilets jaunes'. C'est complètement complotiste et absurde. Mais ce président est connu pour ça : rien de nouveau pour les Biélorusses.
Je vois un lien très fort avec le passé communiste. Quand le désastre de Tchernobyl s'est passé, dans les années 1980, les gens ne l'ont pas appris tout de suite. Ils sont sortis le 1er mai pour les manifestations (le défilé de la Journée internationale des travailleurs à Kharkov, en Ukraine, a eu lieu le 1er mai 1986, malgré l’explosion quelques jours auparavant, NDLR). C'est d'abord en Europe, que l'on a appris, qu'il y avait quelque chose de grave qui se passait."
Est-ce que les citoyens biélorusses sont inquiets face au manque de restrictions ?
" En Biélorussie, la télévision est contrôlée complètement par l'État. Donc la plupart des gens, surtout les personnes âgées, regardent la télé officielle, et ne comprennent pas la situation. Ils n'apprennent que les chiffres officiels.
Mon devoir, c'était de les prévenir (Andreï utilise les réseaux sociaux pour essayer de transmettre comme message, la gravité du Covid-19, NDLR). J'ai ma grand-mère qui est dans le groupe à risque. Je lui dis de ne pas sortir et de faire attention. Et outre mes proches, les gens commencent à faire le nécessaire, malgré la position officielle. Mais on ne peut pas faire ce travail-là, pour les 10 millions d'habitants du pays.
Les blogueurs, qui essayent de transmettre les informations, font face à une répression. Certains d'entre eux ont déjà eu des amendes. Je suis inquiet, parce que dans les prochaines semaines, on verra que les journalistes qui apportent de vraies informations vont subir une vague de répression, que dans ce pays on connait déjà bien.
Les gens sont angoissés, ils ont peur. Mais cette peur, se transforme aussi en une sorte d'arme. Ils vont sur internet pour chercher des informations. Je pense que dans les prochains jours, le pouvoir va être obligé de changer son attitude envers ce problème."
Est-ce que vous regardez vos voisins européens ? La Russie a commencé à mettre en place des restrictions beaucoup plus strictes, par exemple. Est-ce que cela influence ce qu’il se passe en Biélorussie ?
"On voit en Russie que le nombre de malades a explosé depuis quelques jours. Et cette information est diffusée à la télé biélorusse - on diffuse beaucoup de chaînes russes dans le pays - et je pense, que cela va créer une sorte de méfiance envers les autorités. La plupart des gens ne regardent pas l'Europe, ils regardent ce qu'il se passe en Russie ; ils en comprennent la langue, c'est un pays qui est très proche."
Le système de santé du Bélarus est-il équipé pour faire face à l'augmentation probable du nombre de cas dans le pays ?
"Dans la capitale, il y a des hôpitaux qui sont très bien équipés. Mais la question qui se pose est celle de l'accès. Est-ce que les hôpitaux de régions, ou des petites villes, sont équipés ? On voit des informations, depuis hier, qui proviennent d'endroits comme Vitebsk, où l'on dit que beaucoup d'hôpitaux sont déjà pleins.
Ici en France, on voit que les hôpitaux ont déjà beaucoup de mal et qu'il n'y a pas assez de place. La Biélorussie, qui est un pays loin d'être parfait sur le domaine médical, pourrait faire face à une explosion, s'il n'y a pas de mesures de confinement mises en place et si cette chaîne de propagation n'est pas arrêtée.
De plus, les journalistes interrogent le Ministère de la Santé sur la question du nombre de respirateurs. Il y a les chiffres officiels, mais on ne peut pas savoir s'ils reflètent, ou non, la réalité. Il n'y pas de double contrôle ; L'OMS se contente de répéter l'information du Ministère de la Santé.
Et puis, il est dit que plus de 30 000 tests ont déjà été effectués. Mais connaissons vraiment l'origine de ces tests ?"
Votre ville natale en Biélorussie, Svietlahorsk, a fait la une des journaux en 1996, lorsqu'elle a subi l'épidémie de SIDA la plus grave d'Europe. Quelle a été la réaction des autorités à l'époque et dans quelle mesure est-elle comparable à la façon dont le coronavirus est actuellement traité ?
"Dès le début, c'était une réponse que l'on peut attendre d'un régime autoritaire : le problème n'existait pas. Quand cela est devenu trop difficile de cacher cette épidémie, on a cherché la source du problème : notamment les consommateurs de drogue. Donc on les arrêtait et les mettait en prison.
Quand je compare les deux épidémies, je compare surtout la réponse des autorités. J'ai des amis qui sont médecins dans les hôpitaux de Minsk. Ils disent que depuis quelques semaines, ils ont affaire à une explosion de malades atteints de pneumonie. Je fais le lien, parce que les personnes qui mourraient du SIDA, dans leurs actes de décès, la raison officielle de la mort, c'était tout ce que vous voulez, mais ce n'était pas le SIDA. Parce que le SIDA n'existait pas."
Andreï Vaitovich est journaliste et réalisateur. Son film AIDS ZONE, traite de l'histoire de sa ville natale en Biélorussie, Svietlahorsk, où la pandémie du SIDA continue de faire des ravages dans la communauté.