Au milieu de la carte de l’Union européenne, trône la Suisse : indépendante et pourtant si européenne. Trop souvent simplement résumée à sa neutralité, la Suisse est en fait un partenaire actif de l’Union européenne. Mais alors où en est la relation entre la Suisse et cette organisation qui l’entoure ?
Pour faire le point avec nous aujourd’hui : Raphaël Bez, secrétaire général du mouvement européen Suisse, le Nomes.
Pour commencer, quelques éléments sur la Suisse
Raphaël Bez : En Suisse il y a 8,6 millions d'habitants et 4 langues officielles mais principalement 3 régions linguistiques. Il y a la région où l'on parle l'allemand qui représente 65% de la population, ensuite il y a la région francophone soit 25% de la population, et puis une dizaine de pourcents encore parlent l'italien. Pour ce qui est du système politique, la Suisse est une fédération de 26 cantons. Le pouvoir législatif est assuré par une assemblée fédérale avec 2 chambres : un Conseil national qui représente le peuple et un Conseil des Etats qui représente les cantons. Le pouvoir exécutif est assuré par le Conseil fédéral. La Suisse est ce que l'on appelle une démocratie semi-directe avec à la fois un système représentatif avec l'élection par le peuple de ses représentants au Parlement et un système direct qui fonctionne avec des outils comme les droits d'initiative et de référendum.
La Suisse est donc un pays qui semble à l’image de l’Union européenne : diverse, polyglotte et dotée d’un système de gouvernance complexe. Pourtant la Suisse est souvent réduite à sa neutralité. Quelle est votre définition de cette notion ?
RB : Il faut faire la différence entre la politique de neutralité et le droit de la neutralité. La politique de neutralité en Suisse c'est un moyen et non pas un but en soit. C'est un moyen pour arriver aux buts fixés par la Constitution fédérale. Ça veut dire que l'on se retient de prendre position lorsque l'on sent que l'on doit pencher d'un côté ou de l'autre.
Quels sont les accords qui rattachent la Suisse et l'Union européenne ?
RB : La Suisse est européenne dont il est logique qu'elle entretienne des relations très étroites avec son voisin direct l'Union européenne. Ça se fait actuellement via plus de 120 accords de coopération et d'accès au marché commun européen. Cela a commencé en 1972 avec un accord de libre-échange, aujourd'hui on a des accords bilatéraux d'accès au marché. On est bien au-delà d'un simple libre échange où l'on abaisse les frontières, on coopère sur des thèmes comme les statistiques, l'environnement, la recherche, la création...
De manière concrète, comment ces accords affectent-ils la vie quotidienne des Suisses et des Suissesses ?
RB : Un élément très concret c'est la libre circulation des personnes, grâce à tout ça, nous Suisses, nous pouvons librement circuler au sein de l'espace européen. Concrètement aussi, les échanges économiques sont facilités, l'UE est le premier partenaire économique du pays. Cela nous donne aussi accès à de la main d'oeuvre, ceux que l'on appelle les "frontaliers", comme typiquement ceux qui résident en France et qui travaillent en Suisse. Il y en a énormément qui travaillent dans le domaine de la santé par exemple. Cela nous garantit aussi une meilleure sécurité car on participe à l'espace Schengen, il y a un échange d'informations au niveau de la criminalité au niveau européen dont nous pouvons profiter.
De quelles institutions européennes, la Suisse fait-elle partie ?
RB : On peut ici distinguer l'UE des autres institutions européennes au sens large. Au sein de l'UE la Suisse participe à titre d'observatrice ou est partenaire d'institutions européennes. Elle est autrement active et membre de l'Association européenne de libre-échange (l'AELE). Elle est membre du Conseil de l'Europe, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (l'OSCE), ou encore de l'OCDE (l'Organisation de coopération et de développement économique) qui a son siège à Paris. Institutions européennes qui permettent à la Suisse, sans être membre de l'UE, de tout de même avoir accès à certains espaces, au-delà simplement du bilatéral entre Etats.
Quel est alors le niveau de participation de la Suisse aux décisions européennes ?
RB : La Suisse n'a pas la possibilité de co-décider, donc les décisions européennes sont prises à Bruxelles au sein de l'espace européen sans la Suisse. Dans certains domaines elle a la possibilité de participer à l'élaboration de certaines décisions notamment dans tout ce qui touche aux accords de Schengen et de Dublin. Notre ministre de la Justice participe à des rencontres de ministres de la Justice européens mais à la fin elle ne peut pas co-décider comme les autres. La Suisse doit donc souvent s'adapter et suivre. Il n'y a pas grande possibilité pour elle de réellement et activement participer aux décisions européennes.
Où en est la relation entre la Suisse et l’Union européenne ? Comment la Suisse est-elle perçue ?
RB : Comme une partenaire certainement, simplement même déjà au niveau économique, c'est le troisième partenaire économique de l'UE après les Etats-Unis et la Chine, ce qui n'est pas négligeable. Probablement aussi comme un Etat qui est sur la même ligne au niveau des valeurs et de l'engagement politique que la majorité des Etats membres de l'UE. On a maintenant depuis quelques années un débat en cours sur un possible accord institutionnel qui viendrait chapeauter une série d'accords d'accès au marché, sur comment on règle les différends entre l'UE et la Suisse. En Suisse on est très divisé et ça traine, ce qui j'ai l'impression, commence à énerver un petit peu du côté du partenaire européen.
Et quel est l’avis de la population Suisse sur la question européenne ?
RB : La population Suisse a longtemps été très sensible aux arguments économiques, ce qui est peut-être un petit peu moins le cas aujourd'hui. Alors que c'est un argument qui a vraiment bien fonctionné : "on a besoin de l'Europe pour nos entreprises, pour notre prospérité". Aujourd'hui la question tourne plus autour de cette idée de souveraineté, d'indépendance.
Monsieur Bez, vous êtes secrétaire général du mouvement européen suisse, le Nomes, pourriez-vous nous le présenter ?
RB : C'est la section suisse du Mouvement européen international et de l'Union des fédéralistes européens. On est une association non partisane et indépendante de 3500 membres. On s'engage à la fois pour promouvoir en Suisse le projet européen et ses valeurs, en faisant un travail d'information et de relai, mais aussi pour l'adhésion de la Suisse à l'Union européen et c'est ce qui nous distingue dans le paysage suisse.
La Suisse, qu’à t-elle à y gagner à s’investir pleinement dans le projet européen ?
RB : Je crois profondément qu'elle a tout à y gagner à s'investir dans ces relations là. La Suisse est européenne, nous Suisses nous sommes européens géographiquement culturellement, économiquement... On partage les mêmes valeurs que cet espace et ce projet. Et surtout lorsque l'on voit les défis auxquels aujourd'hui et demain nous avons affaire, que ce soit l'environnement, le digital ou ce genre de domaines, les réponse on les trouvera au niveau européen, si ce n'est pas au niveau international, mais pas au niveau du chacun pour soi des Etats.