La CECA : ses origines et son héritage aujourd'hui

 La CECA : ses origines et son héritage aujourd'hui

71 après la déclaration de Robert Schuman, posant les jalons pour la construction de la Communauté européenne, retour sur les origines de ce projet ambitieux. 

Avec notre invitée Myriam Benlolo Carabot, professeure de droit à l'université de Nanterre et spécialiste en droit européen, on retrace l’histoire de la CECA, premier grand projet économique et politique de la construction européenne.  

La CECA : ses origines et son héritage aujourd'hui

Le 9 mai 1950, Robert Schuman, ministre des affaires étrangères français, propose dans sa célèbre déclaration la création d'une Communauté européenne du charbon et de l'acier, CECA en acronyme. Le principe était simple, les pays membres mettraient en commun leur production de charbon et d'acier. Pourquoi la production du charbon et de l’acier était à l’époque un outil diplomatique si important qui a mené ensuite à la formation de l'Union européenne?

C'est une question importante, parce que quand on présente la Communauté européenne du charbon et de l'acier aujourd'hui, on a tendance à passer un peu vite sur cette étape, en parlant beaucoup plus du marché commun tel qu'il s'est mis en place 1957 avec le Traité de Rome. Mais je crois vraiment que dans la CECA, il y avait quelque chose de très important autour du charbon et de l'acier. Si on a choisi ces 2 matières, c'est d'abord parce qu'on sortait de la guerre et que dans une période de reconstruction, il était très important de pouvoir mettre en commun ces 2 matières-là. Mais il y avait une raison très politique et très stratégique aussi, qui a été très bien vu par les pères fondateurs de l'Europe et notamment par Jean Monnet et Robert Schuman : avec le charbon et l'acier on se fait la guerre, on est à même de construire et de fabriquer des armes en production massive, d'où l'idée de mettre en commun ces deux productions pour faire en sorte que l'Allemagne et la France, notamment, et les autres pays qui allait s'agréger à la CECA aient un intérêt commun autour de cette production et ne puissent plus se faire la guerre. L'idée, c'est que ce soit une autorité supranationale qui décide de la production en commun du charbon et de l'acier. C'était le meilleur moyen de maintenir la paix. Donc je pense qu'il y avait un un but très politique derrière cette production en commun.

La CECA est la première des institutions supra-nationales européenne. Quel a été son rôle dans la construction de l'Union européenne telle qu'on la connaît aujourd'hui ?

Un rôle fondamental parce que toutes les innovations en termes juridiques de la Communauté européenne ,qui va devenir après l'Union européenne, se retrouvent dans la CECA. Je me réfère à toutes ces innovations qui consistent à dire qu'il y a un droit supranational, une institution indépendante au dessus des États qui va être en mesure de leur imposer certaines décisions. Cette façon de "faire" le droit, qu'on a appelé la méthode d'intégration par opposition à la méthode de coopération classique que l'on connaissait en droit international, est vraiment mise en œuvre pour la première fois dans la CECA. Et ceci avec l'institution d'une Cour également, qui va être à même de dire et d'interpréter le droit.

Peut-on considérer la CECA comme ancêtre du Marché unique ?

Oui, tout à fait. La CECA vise bien à créer un marché commun du charbon et de l'acier, ce terme est employé. Masi il s'agissait d'un marché sectoriel, un marché dont on a voulu expressément limité à certains domaines. Certains domaines stratégiques et Limité sectoriellement parce qu'on voulait aller pas à pas, selon cette fameuse méthode des petits pas que Jean Monnet a mis en œuvre : il fallait commencer par un petit secteur, voir comment ça fonctionnait et créer la confiance. On était en 1951, quelques années après la fin de la guerre et c'était extrêmement important de restaurer cette confiance et dans le cas où cela fonctionnait, on allait voir plus grand, et c'est ce qui s'est passé dès 1957.

La construction européenne s’est actée tout d’abord par l’instauration d’institutions supranationales. Comment l’Union européenne a commencé à établir des droits fondamentaux pour les citoyens et citoyennes de l’espace européen ?

Les institutions supranationales ont d'abord été créées pour faire du droit économique, pour mettre à point le marché commun. Et puis, c'est la Cour de Justice qui, dans les années 1970 a produit une jurisprudence très audacieuse sur la question de la protection des droits fondamentaux comme rien n'était prévu dans les traités dans ce domaine. C'est la cour de justice elle-même qui a dit que la communauté était soumise aux principes généraux du droit communautaire, et qu'en vertu de cela elle était tenue de respecter les droits fondamentaux de ses citoyens. Cette jurisprudence très précise sur la protection des droits fondamentaux a mené à la Charte des droits fondamentaux telle qu'on la connaît dans le traité de Lisbonne. Ensuite, il y a eu la citoyenneté européenne. On a développé l'idée de donner des droits aux citoyens européens, qui a été concrétisée dans le traité de Maastricht en 1992. C'est avec ce traité, en 1992, qu'on a décidé de dépasser la vocation économique des traités de Rome et d'inclure une dimension citoyenne et sociale de commencer aussi à parler des questions relatives à l'immigration, aux frontières, au droit pénal.

Et pensez-vous que la notion de citoyenneté européenne continue d'évoluer encore aujourd'hui ou se trouve-t-elle à un point d’arrêt ?

Non, je pense que c'est une notion qui évolue encore beaucoup. Parce que les droits sanctionnées dans le Traité de Maastricht en 1992 étaient des droits limitativement énumérés. Comme très souvent en droit de l'Union européenne, la Cour de justice a rendu des arrêts et continue encore aujourd'hui de rendre des arrêts sur la citoyenneté de l'Union, où elle va élargir considérablement le spectre des droits. Donc entre 1992 (traité de Maastricht) et aujourd'hui, il y a eu des évolutions très importantes par les arrêts de la Cour de justice. Bien sûr, il y a des allées et venues, il y a des retours en arrière dans la jurisprudence. Dans certains cas, la Cour de justice est beaucoup plus prudente, elle va beaucoup plus reconnaître les marges de manœuvre des États ou leurs considérations légitimes. Mais c'est un équilibre, et il est clair que la notion de citoyenneté continue de beaucoup évoluer.

Vous avez parlé justement d’équilibre entre les compétences des États membres et celles de l’Union européenne, qui sont définies par les traités sur le fonctionnement de l’Ue. Pensez-vous qu' il y a des domaines où les traités devraient évoluer en ce qui concerne cet équilibre de compétences ?

Oui. À titre tout à fait personnel, je suis convaincue qu'il y a des compétences qui aujourd'hui n'appartiennent pas à l'Union européenne et qui pourraient lui être lui être données, et non pas transférer, c'est-à-dire qu'il faudrait que l'Union européenne puisse les partager avec les États membres. Ce serait le cas dans le domaine fiscal, par exemple. Aujourd'hui, je pense qu'il y a une compétence exclusive des États dans le domaine fiscal, et que cela peut être problématique dans le cadre de la réalisation du marché commun. Dans le domaine de la santé aussi, et on l'a vu un avec la crise sanitaire, l'Union européenne a fait certaines choses bien sûr, mais elle aurait pu faire beaucoup plus si on lui avait donné une compétence spécifique en la matière. Or, cela n'a pas été le cas, donc oui, je crois qu'il y a des domaines ou il serait bon que l'Union évolue dans ses compétences.

Et pour revenir à la CECA, elle a été officiellement abrogée en 2002, mais est-ce que son héritage est visible aujourd'hui ?

Oui, à travers tout ce qu'on a dit. Les institutions ont été très clairement héritées de la CECA. Cette méthode d'intégration, cette façon très particulière de faire le droit, c'est quelque chose qui reste, même si elle a beaucoup évolué. Et je pense qu'il y a l'héritage politique de la CECA, c'est à dire que cette idée de s'unir pour protéger la paix, pour ne plus déclarer une guerre 10 ou 15 ans plus tard, est un acquis fondamental, qu'on a tendance à oublier aujourd'hui. Mais cela reste l'acquis principal de la CECA. C'est aussi la la valeur à mon avis qu'en tant qu'Européens on doit chérir par-dessus tout. La critique à l'Union européenne, à certaines de ses prises de position est tout à fait légitime, mais il ne faut pas oublier que l'Union européenne est une construction politique qu'on nous envie à travers le monde, parce que c'est cette construction qui a permis de maintenir la paix sur le continent européen. C'est inestimable.