Manque de sommeil, mauvaise hygiène personnelle, difficultés à fonctionner au travail, à l'école ou à la maison. Voici quelques unes des conséquences de l’addiction aux jeux vidéo. Toutefois, beaucoup de gens les critiquent pour les raisons les plus diverses, mais sans des bases solides. Quelle est donc la réalité? Bruno Rocher, vous êtes addictologue au CHU de Nantes, quels sont les comportements d’une personne qui a une addiction aux jeux vidéo?
Le tableau typique sera un jeune garçon qui vient en consultation, le plus souvent avec une sollicitation familiale qui a contacté le centre. Quand on lance une évaluation, on va souvent trouver des éléments de désaffection sociale, des troubles physiques et psychiatriques, une limitation de contacts, une réclusion, parfois un abandon des études ou du travail professionnel, des tensions familiales, difficultés de sommeil, etc.
Vous avez parlé de jeunes garçons, mais quelle est la catégorie la plus touchée, un peu plus en détail?
Les jeux vidéo sont mis sur le marché d’une certaine manière dès le plus jeune âge. La moyenne d'âge la plus concernée est de 23 ans. Cette situation problématique se situe plutôt à la fin des études, qui peut-être, n’ont pas permis à l’adolescent de trouver suffisamment de capacité d'autonomie et de prise de distance avec son milieu familial pour s'installer dans une vie autonome.
C'est vrai que les jeux vidéo ont énormément changé ces dernières années et ils sont de plus en plus réalistes et immersifs. Selon vous est-ce que ça a facilité l'émergence de ce type de dépendance?
C’est vrai que les jeux vidéo ont énormément changé. Nous on a assisté d’ailleurs il y a 10 ans au fait que les jeux vidéos qui posaient souci c’était finalement quasi exclusivement World of Worldcraft, un MMORPG ( jeu de rôle en ligne massivement multijoueur). On a vu l'évolution, avec les MOBA (arène de bataille en ligne multijoueurs), comme League of Legends, qui a été le plus important, et après avec des FPS (jeu de tir à la première personne).
Globalement, c’est ce type de jeux là qui posent soucis. Les études sont toutefois compliquées parce que la perception change quand la catégorie change.
Pour répondre à votre question sur le fait que les jeux d’aujourd’hui seraient plus immersifs et plus réalistes. En termes de problématiques addictives, nous ne le percevons pas comme facteur de risque particulier. Par exemple, on peut être à risque d’avoir des problématiques d'addiction sur des jeux très peu réalistes comme Minecraft et ne pas être particulièrement attiré par les jeux réalistes.
Un phénomène très critiqué arrive dans le débat public: c'est le phénomène des “lootbox”, des boites qu’on achète pour avoir des avantages dans le jeu sur les adversaires, pour faire progresser son personnage plus rapidement, etc. Voyez-vous ça comme un problème?
Sur les jeux vidéo, dans le passé, on était sur des achats qui se faisaient dans une boutique de jeux vidéo, un grand magasin, on payait 50-60 euros pour une boite de jeu, et puis la question financière s'arrêtait à ce moment là. Les choses ont beaucoup changé parce que on est passé sur un modèle de Free-to-Play, donc c’est Free à l’achat, sans engagement financier dans la première version, mais par contre, si on veut avoir un jeu complet, donner des capacités de développement à son avatar, soit des armes ou des jolis objets, soit en accédant à des parties de jeu complémentaires, il y a besoin d’engager des petits montants financiers, c’est pour ça qu’on parle de micro transactions, mais qui ,accumulées les unes à la suite des autres, sont financièrement très importantes.
Sur les “lootbox”, il y a en plus une dimension d'aléatoire dans la rétribution à l’achat d’une pochette qui va amener tel ou tel objet. Cette dimension d'aléatoire va stimuler l’attention, comme pour le système de loteries, et porter le joueur à ré-engager de l’argent pour essayer d’avoir finalement l’objet qu'il voulait. Donc, ici il y a une perte de contrôle.
L’OMS a dénoncé les troubles liés aux jeux vidéo. Quelles sont les actions mises en place?
L’opinion de l’OMS est résumable en deux informations: la première c’est que l’OMS a reconnu en 2018 que le jeu vidéo pathologique avait une place dans la classification des troubles mentaux, de l’ordre d’1%; la deuxième c’est que pendant la crise Covid, l’OMS a reconnu que dans certaines situations les jeux vidéo peuvent être un moyen de maintenir un lien social entre les gens, ils constituent une activité riche et passionnante, on peut dire Covid-friendly.
Y a-t-il une approche européenne commune à ce phénomène? Une politique de santé communautaire existe-t-elle?
Les échanges se font principalement sur les réseaux sociaux. Au niveau international, il y a une vision commune du problème. A Londres, il existe une clinique qui s’occupe des dépendances aux jeux vidéo. Il y en avait une aux Pays-Bas qui a fermée. On est plutôt au niveau d’initiatives locales.
Selon vous, qu’est-ce qu'on doit faire pour améliorer le débat au niveau public?
Le débat autour des jeux vidéo c’est un débat fort parce que c’est le loisir numéro un des jeunes et des moins jeunes maintenant. Je crois qu’il s'agit d'insister sur l'intérêt de cette pratique et affirmer ce que l’on connaît de passionnant dans ce domaine. Il faut aussi reconnaître qu'en tant que loisir passionnant, il va attirer les individus qui peuvent avoir certaines fragilités.
Donc, la collaboration au niveau européen doit évidemment se développer pour traiter ce problème de façon plus organique et sans préjugés.