À Nantes, les avocats proposent aujourd'hui et demain, la première édition des journées internationales du barreau de Nantes, organisées en partenariat avec l’IOC, international ouest club. Ces journées sont dédiées au développement à l'international des entreprises. Pour en parler avec nous, Sophie Miglianico co-présidente de la commission internationale du barreau de Nantes, et Anne-Caroline Trinché, membre de cette commission.
Pourquoi organiser ces premières journées internationales, est-ce une demande qui vient des chefs d'entreprise ?
Sophie Miglianico - Je voulais juste commencer par un petit mot sur la commission internationale et ses travaux. La commission internationale regroupe des avocats qui relèvent du barreau de Nantes et qui ont une activité tournée vers l'international. Ils entretiennent des liens privilégiés, professionnels ou personnels avec un pays étranger et ont une appétence particulière pour les sujets internationaux. Certains d'entre eux, sont même inscrits à un barreau étranger.
Les échanges au sein de la Commission ont permis de faire émerger un constat simple qui est lié à l'organisation de ces journées. Les sujets internationaux sont multiples à Nantes, du fait de l'accroissement de la mobilité des entreprises et des personnes, et de la mondialisation des échanges. Les compétences pour les traiter et accompagner cette internationalisation sont là au sein du barreau. Néanmoins, à défaut de communication, beaucoup de ces problématiques ne sont pas traitées en local par des Conseils de proximité, voire pas traitées du tout. Et nous, avocats, arrivons parfois après la bataille. On tente de résoudre les conflits et les problématiques, non anticipés, alors qu'un accompagnement juridique ou fiscal de proximité dès les prémices de l'internationalisation aurait permis d'éviter.
On a bien senti effectivement qu'il y avait un besoin du côté des entreprises. Cette première journée est destinée à permettre aux entreprises locales d'identifier les avocats du barreau de Nantes comme de véritables partenaires du développement de leurs activités à l'étranger.
Quelles sont les questions et les interrogations qui reviennent le plus souvent de la part des chefs d'entreprise et quels conseils, en tant qu'avocate spécialisée à l'International, pouvez-vous leur apporter pour les aider dans cette implantation à l'étranger.
Anne Caroline Trinché - La première question qui se pose, c'est toujours et d'abord celle du financement du développement. Après se posent les questions juridiques et fiscales. De manière générale, les chefs d'entreprise, mais c'est aussi plutôt leur directeur financier, quand ils vont à l’international, cherchent à s'assurer que non seulement ils ne prennent pas de risque, mais surtout qu'ils exploitent toutes les opportunités qui leur sont offertes.
Si on devait prendre une question, parmi toutes celles qui se posent le plus régulièrement, c'est peut-être celle de savoir, si pour développer son activité dans un pays, il est nécessaire d'y être présent au travers d'une filiale ? Ou si finalement on peut se contenter de gérer l'international depuis la France ou d'ouvrir ce qu'on appelle un bureau de représentation qui est une forme un petit peu simplifiée de s'implanter ou même peut être d’être présent juste au travers de salariés, qu'on embaucherait en local et qui travailleraient chez eux en dehors de toute structure juridique.
En termes de conseil et d'information, les entreprises qui vont à l'international cherchent forcément à savoir, quel va être leur coût d’implantation, que ça soit un coût unitaire ou bien un coût récurrent. Ils vont nous interroger notamment sur la fiscalité applicable en local, à la société ou bien à ses salariés. Ils vont se poser des questions pour savoir comment est-ce qu'ils doivent mettre en place des flux entre leur société qui va être en France et les sociétés étrangères.
Est ce que c'est l'occasion aussi de faire tomber des idées reçues sur des pays qui seraient plus compliqués ou au contraire des pays qui semblent plus accessibles et qui ne le sont pas ?
Anne Caroline Trinché - Oui, c’est l'occasion de faire tomber les idées reçues ou de les confirmer. Il y a certains pays qui sont effectivement plus facilitateurs que d'autres. Pour autant, j'ai envie de dire que les chefs d'entreprise peuvent avoir l'impression que s'implanter à l'étranger, ça se fait en un claquement de doigt. Or, quel que soit le pays ou on va aller faire un développement à l'international, ça se prépare, ça s'anticipe, si on veut qu'il soit sécurisé. Ce qui est assez intéressant, c'est la rapidité à laquelle les entreprises vont maintenant sur l'international, notamment toutes les start-up. Globalement aujourd’hui, on constate un départ sur l’international dans les 4 ans de la création de la nouvelle activité.
Aujourd'hui les salariés sont plus mobiles
Sophie Miglianico
Est ce que ça représente beaucoup d'entreprises ? Est-ce que ce développement à l’international prend de l'ampleur ces dernières années ?
Sophie Miglianico - En fait, l'internationalisation est facilitée par tout ce qui est développement du numérique. Donc ce sont des demandes qui sont effectivement de plus en plus pressantes. On a quand même plus de 200 entreprises regroupées au sein de l'International Ouest Club et ça ne représente qu'une petite partie de l’iceberg. On a un bassin à Nantes qui est extrêmement dynamique donc effectivement on a une demande croissante. Il y a quelques années les gens avaient plus de réticence à partir à l'étranger, ça faisait peut-être un peu plus peur. Aujourd’hui les salariés sont plus mobiles, avec des personnes qui ont plus de facilités à s'implanter à l'étranger.
Alors justement, au cours de cette journée, vous évoquez les conditions de travail comme l'expatriation des salariés et des dirigeants ou encore les conséquences du télétravail, pour les salariés et les dirigeants depuis l'étranger. Quelles sont les questions qui reviennent le plus souvent autour du télétravail et de l'expatriation ?
Sophie Miglianico - Cette question de l'expatriation des salariés et des dirigeants se pose avec une plus grande acuité aujourd'hui. Les questions qui reviennent de façon récurrente, sont liées au droit social, est-ce qu’on fait un contrat de travail local ? Est-ce qu'on garde le salarié sous contrat français ? En matière de protection sociale aussi, la personne est envoyée à l'étranger pour combien de temps ? Est-ce qu'elle conserve la sécurité sociale française ou est-ce qu'elle doit basculer sous un régime local ? Et le troisième point important dans l’expatriation des salariés et des dirigeants, c'est la problématique fiscale qu'il ne faut pas négliger. En déplaçant le salarié à l'étranger, on a des problématiques de résidence fiscale, qui vont se poser pour lui et qui ont un impact sur les obligations de l'entreprise qui l’envoie à l'étranger.
Ce sont des questions qui reviennent régulièrement et qu'il convient de traiter en amont. Pour éviter justement des déboires ou des problématiques à gérer, qui sont plus complexes à dénouer après que si elles sont anticipées.
Aujourd'hui, on ne recrute plus là où on est présent mais là où la compétence est présente, c'est un vrai changement.
Anne Caroline Trinché
Qu’est ce que l'épidémie de Covid-19 a changé dans les relations internationales au niveau du travail ?
Anne Caroline Trinché - Alors, l'épidémie a changé beaucoup de choses. Dans un premier temps, les entreprises ont dû parer à l'urgence, elles ont dû sécuriser leurs salariés, gérer les ruptures dans les chaînes d'approvisionnement, gérer l'impossibilité de répondre à des engagements contractuels. Elles ont mis en place de nouveaux canaux de distribution pour pallier la fermeture de lieux de consommation.
Et puis après un temps d'adaptation, aujourd'hui, les entreprises s'interrogent et se repensent pour essayer de prévenir les risques auxquels elles ont fait face pendant la crise. Elles revoient leur stratégie, l'approvisionnement pour limiter leur dépendance vis-à-vis de fournisseurs clés. Elles ajustent leur distribution. Il y en a qui ont découvert la vente en ligne pendant la crise et qui finalement vont pérenniser ces modalités de distribution.
Et puis les entreprises revoient leur politique RH. L'épidémie a permis aux entreprises de faire à la fois un bond technologique en mettant en place des outils pour permettre à leurs salariés de travailler à distance, mais aussi un bond dans leur approche managériale en démocratisant le recours au télétravail. Ça a l'air un peu anodin comme ça, mais en fait, ça ne l'est pas puisque les entreprises évoluent dans leur politique de recrutement et dans la gestion de la mobilité de leurs salariés. Aujourd'hui avec tous les moyens de communication, les recrutements sont à l'international. On ne recrute plus là où on est présent mais là où la compétence est présente donc c'est un vrai changement.
Les entreprises se sont rendu compte qu'on pouvait travailler à distance dans toutes ces situations. Elles peuvent expatrier des salariés et aussi proposer l'international aux salariés sans avoir à les faire bouger.
On va pouvoir avoir des gens qui vont travailler dans un pays A pour le compte d'une société qui est dans un pays B, sans jamais y mettre les pieds. Autant d'éléments qui amènent les entreprises à revoir leur modèle opérationnel et économique. Ce sont vraiment des conséquences de la crise. L'approche de l'International Post COVID n'est définitivement pas la même que l'ère pré COVID.
Demain vendredi, la journée est consacrée à des échanges entre avocats étrangers et nantais sur l'exercice de la profession notamment. Qu'est-ce que vous attendez de ces échanges ?
Sophie Miglianico - L’une des missions de la Commission internationale, est de créer des partenariats forts avec des barreaux à l'étranger justement pour pouvoir échanger sur nos pratiques professionnelles, sur les règles professionnelles aussi et sur les systèmes juridiques.
Ces échanges permettent d'ouvrir notre horizon. Ces barreaux étrangers nous apportent aussi des solutions, qui ont été mises en place en leur sein. Voilà, l'idée, c'est de pouvoir échanger, échanger, échanger. C'est le maître-mot.
Demain notre barreau aura l'honneur d'accueillir trois avocats étrangers : mexicain, portugais et colombien. On abordera ensemble trois thèmes d'actualité et propices aux échanges :
- l'exercice professionnel en temps d'épidémie. Bien évidemment la crise sanitaire n'a pas été vécue de la même façon depuis la Colombie, le Mexique, le Portugal ou la France. Donc c'est intéressant de savoir ce qui s'est passé et comment la crise a impacté l'exercice professionnel de chacun.
- le deuxième thème abordé sera le secret professionnel parce que c'est un fondement majeur de notre profession et qu’il n'est pas appréhendé de la même façon suivant les systèmes juridiques
- et on clôturera en faisant le lien entre les deux. Puisque les nouveaux modes de communication liés à la crise sanitaire, notamment je pense aux visioconférences posent des problématiques en matière de secret professionnel.