L'éco de Marc Tempelman

Les boursicoteurs rebelles - L'éco de Marc Tempelman

Les boursicoteurs rebelles - L'éco de Marc Tempelman

Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance. 

Oui en effet, la semaine dernière en quelques jours, une armée d’investisseurs individuels amateurs ont fait vaciller un géant de la finance en spéculant, ensemble et massivement, sur la chaine de jeux électroniques Gamestop, auparavant peu connu du grand public.

Dites-nous en plus, comment cette affaire a-t-elle commencée ?

Oui, un bref retour sur les faits est sans doute nécessaire. Gamestop a connu son heure de gloire entre 2005 et 2011. Pendant cette période, l’entreprise surfe sur la vague des jeux électroniques. Elle finit par avoir jusqu’à 6700 magasins, et générait alors 10 milliards de dollars de revenus. Mais elle rencontre depuis de nombreuses difficultés, parce que les jeux vidéo sont aujourd’hui fréquemment téléchargés directement, et la crise sanitaire a réduits le nombre de clients dans ses magasins. GameStop a dû fermer plus de 1000 boutiques et procéder à un plan social massif.

Et c’est alors que les gérants de fonds ont injecté des fonds pour soutenir la société ?

Pas vraiment. Certains fonds dit « alternatifs » se sont mis à parier sur la déchéance de la société, en vendant des actions de la société à découvert. Sans rentrer dans trop de détails techniques, cette stratégie consiste à vendre des actions d’une société dont on pense que le futur est morose aujourd’hui, pour les racheter à une date future, à un prix inférieur. Si tout fonctionne comme prévu, le fonds empoche la différence et réalise des gains, bénéficiant de la baisse du cours de l’action.

Et dans le GameStop cette stratégie a fonctionné ?

Initialement absolument. Les hedge funds Melvin Capital et Citron Research avaient eu le nez creux : le cours de l’action GameStop a chuté de plus de 15 dollars en janvier 2019 à un peu plus de 4 dollars en juin 2020 ... 

Mais plusieurs investisseurs amateurs sont bien plus optimistes sur les perspectives commerciales de GameStop, et le commencent à le faire savoir sur des réseaux sociaux dédiés aux boursicoteurs. Les messages suggérant d’acheter l’action de GameStop commencent à s’accumuler, notamment sur le canal WallStreetBets du forum de discussion digital Reddit. Sous l’effet de ces premiers achats, le prix de Gamestop commence à remonter pour atteindre les 11 dollars dans le courant de novembre 2020.

Cela réduit les bénéfices pour les fonds qui ont vendu le titre à découvert, mais rien de bien grave non ?

Sauf que l’affaire ne s’arrête pas là. Car en plus des petits porteurs qui avaient initialement exprimé une thèse d’investissement différente de celle des fonds, d’autres voix se rajoutent aux discussions proposant tout simplement d’attaquer les fonds en les faisant souffrir financièrement. Et pour ce faire lorsqu’on est face à des investisseurs qui ont vendu à découvert, rien de plus simple : il suffit – sur papier – de pousser le cours de bourse de l’action à la hausse.

La vague d’acheteurs grossit. Se servant des applis de trading comme Robinhood, l’armée d’investisseurs amateurs ainsi constituée se met à acheter le titre GameStop. Le cours de l’action flambe. Il se multiplie par 28 par rapport au 1er janvier pour atteindre un plus haut de 482 dollars.

Effectivement, à ses niveaux de prix, les vendeurs à découvert doivent souffrir.

Imaginez la situation Gabriel Plotkin, fondateur de Melvin Capital. Il gère 13 milliards de dollars pour des investisseurs fortunés et a vendu beaucoup d’actions de GameStop qu’il ne possède pas. Pour stopper l’hémorragie, il doit les acheter, coûte que coûte. Il finit par céder à la pression le 26 janvier, perdant plusieurs milliards de dollars au passage.

Le lendemain, pour assurer la survie de son fonds, il accepte une injection massive de capital frais, en provenance proviennent de deux autres hedge funds, Citadel et le fameux Point72, dont le gérant Steve Cohen aurait servi comme modèle pour la série Billions.

S’agit-il d’une victoire des petits porteurs contre les loups de Wall Street ?

Sur papier, cela y ressemble beaucoup. Mais cette démarche originale n’est pas pour autant nécessairement une bonne chose pour les marchés financiers.

D’abord parce que les grands fonds de gestion ne sont pas les seuls à avoir perdu de l’argent. Sur le chemin, le titre a évolué de façon très erratique, avec des hausses et des baisses violentes. Je crains que bon nombre de petits porteurs y ont laissé quelques plumes également.

En effet, ce type de mouvement de masse et d’attaques surprise provoquent une forte hausse de la volatilité. Un élément qui n’a d’ailleurs pas échappé au régulateur qui a déjà annoncé s’intéresser à cette affaire.

Le mot de la fin ?

On peut être pour ou contre cette stratégie par lesquels des épargnants rebelles prennent leur revanche sur les grandes institutions financières. Mais il faut bien se rendre compte qu’une forte hausse de cours de bourse d’une entreprise, provoquée par une action collective de ce type, ne change rien à sa situation financière et ses perspectives commerciales. Je ne sais donc pas si cela change quelque chose pour la direction et les employés de GameStop !

Toutes les éditos de Marc Tempelman sont à retrouver juste ici

Image bannière: Oxiq, CC0