L'éco de Marc Tempelman

Le lien entre Treasuries et la bourse

© patrick janicek de Flickr Le lien entre Treasuries et la bourse
© patrick janicek de Flickr

Chaque semaine sur euradio, retrouvez Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee, qui traite les sujets et les actualités de la finance.

Aujourd’hui, nous allons parler d’enchères et plus spécifiquement d’enchères d’obligations d’État et de ce qu’il peut se passer quand ces enchères se passent mal.

En effet, la semaine dernière le Trésor américain a émis 24 milliards de dollars d’obligations à 20 ans dans le cadre de ses opérations habituelles de financement du budget des États-Unis. La somme peut impressionner, mais il s’agit d’une opération de taille modeste quand on la compare avec l’encours des US Treasuries qui dépassent les 26 trilliards de dollars. Sauf que la demande a été étonnamment faible : le taux de couverture n’était que de 2,3 contre une moyenne historique de 2,6. Résultat, le rendement final a atteint 5,1 %, un taux plus élevé qu’anticipé, pour s’assurer du placement des Treasuries proposés au marché.

Quelles sont les causes structurelles et conjoncturelles derrière cette faible demande ? J’aurais pensé que le nombre d’acheteurs potentiels de la dette américaine était très important.

Vous avez raison. Je ne pense pas qu’il y ait un seul investisseur institutionnel au monde qui n'ait pas une exposition aux US Treasuries. La classe d’actif est perçue comme très sûre et très liquide. Mais structurellement, le déficit budgétaire américain persistant commence à inquiéter de plus en plus d’investisseurs. Car les dépenses fiscales expansionnistes du président Trump vont creuser ce déficit de façon matérielle. On parle de 3,3 trilliard de dette publique supplémentaire sur les 10 ans à venir. Donc les acheteurs sont moins friands et exigent une meilleure rémunération pour continuer et augmenter leurs prêts aux USA.

Comment cette hausse des taux affecte-t-elle le marché actions aux États-Unis ?

L’indice phare de la bourse américaine, le S&P 500 a chuté de 2,5 % en deux jours. Pourquoi ? Tout d’abord, il s’agit de valeur relative. Un investisseur rationnel peut désormais investir dans des US Treasuries et s’assurer un rendement de 5% sans risques. Pour le convaincre d’investir en actions, il lui faudra pouvoir espérer une rémunération plus importante, pour le compenser des risques plus élevés qui sont associés aux placements en bourse.

Ensuite, le fait que le pays doit désormais payer plus de 5% pour sa dette à long terme signifie que les entreprises américaines devront payer plus pour leurs financements aussi. Cela peut retarder ou réduire leurs investissements et donc freiner leur croissance.

Enfin, il faut reconnaître que le désamour récent pour les US Treasuries traduit aussi une plus grande méfiance envers l’économie américaine, résultant notamment de la guerre commerciale engagée par son président. Dans un tel contexte, certains investisseurs réduisent leurs expositions aux actions américaines, pour se tourner vers des actifs alternatifs comme les bourses européennes et asiatiques, ou l’or.

Cela démontre bien le lien de cause à effet qui existe entre le marché obligataire et la bourse. Il est donc pertinent pour un investisseur en actions de surveiller les tendances sur le marché obligataire.

Absolument. Les investisseurs en obligations sont par construction plus prudents que leurs confrères qui s’intéressent aux actions. N’oublions pas que s’ils achètent une obligation à son émission pour la détenir jusqu’à son remboursement à maturité, leur gain est connu et plafonné au taux d’intérêt que verse l’obligation. Leur souci principal est de s’assurer que l’emprunteur honore ses engagements et ne fasse pas défaut. Donc quand ils commencent à douter de la capacité d’un emprunteur à rembourser ses dettes, les choses peuvent basculer très vite.

Le marché obligataire est donc une sorte de garde-fou ?

Exactement. Le président Trump ne semble pas tenir compte des réactions politiques de ses adversaires, des conseils de ses économistes, des protestations de ses alliés ni même trop de l’opinion publique quand il prend des décisions. En revanche, je ne pense pas qu’il puisse ignorer les signaux que lui envoie le marché des Treasuries. Je vous rappelle que lorsque le premier ministre anglais Liz Truss a voulu imposer un budget jugé trop agressif et fiscalement hasardeux, le cours des Gilts a plongé, les taux d’emprunt se sont envolés et Liz Truss a dû démissionner après seulement quelques dizaines de jours au pouvoir.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

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