La chronique philo d'Alain Anquetil

Un cas d'école en matière de corruption - La chronique philo d'Alain Anquetil

Un cas d'école en matière de corruption - La chronique philo d'Alain Anquetil

C'est nouveau sur euradio ! Nous accueillons désormais chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique.

Cette semaine, on s'intéresse à un "cas d'école en matière de corruption", en référence à l'affaire Steinmetz sur l'attribution de droits miniers en Guinée.

Oui, cette affaire a été jugée en Suisse et le verdict a été rendu par le tribunal correctionnel de Genève le 22 janvier (1). L’un des articles du journal Le Temps, qui a suivi le procès, titrait : « C’est un cas d’école en matière de corruption » (2).

L’application de la notion de cas d’école m’a paru remarquable pour deux raisons : d’abord, parce que son usage semblait justifié – l’expression n’a pas été utilisée à la légère ; ensuite, parce qu’elle renvoie à des questions importantes sur notre façon de raisonner moralement. Et c’est précisément de la notion de cas d’école que je voudrais parler, pas de l’affaire de corruption elle-même.

Pourquoi dites-vous que l’expression « cas d’école » qui est un cas exemplaire ou typique, me semble-t-iln’a pas été utilisée à la légère ?

Vous avez raison de préciser qu’un cas d’école est un cas typique. Il est une illustration idéale,complète, claire et pédagogique de quelque chose, par exemple d’un concept ou d’une théorie.

Quand on dit, pour rester dans le contexte, que « Ceci est un cas d’école de corruption », on veut dire que ce cas présente toutes les caractéristiques fondamentales de la corruption ; on veut dire qu’il est clair, au sens où on le comprend facilement ; et on veut exprimer le fait qu’il a une visée pédagogique. À ce propos, un auteur écrivait que, dans la méthode casuistique, qui porte sur « l’application des règles morales générales à des cas concrets » (3), « les cas nouveaux sont analysés par analogie avec des cas antérieurs […] ou par analogie avec des cas paradigmatiques ([c’est-à-dire] des cas d’école qui peuvent être inventés pour les besoins de la pédagogie) » (4).

Si l’expression « cas d’école » n’a pas été utilisée à la légère dans l’article du Temps que j’ai mentionné, c’est en particulier à cause de cette phrase : « On ne trouvera jamais plus que cela ». Autrement dit, le cas que relate Le Temps comprendrait toutes les caractéristiques de la corruption. Il ne serait pas nécessaire de lui ajouter ni de lui retrancher quoi que ce soit. Bref, ce serait un cas d’école.

Vous avez fait référence à la notion de cas paradigmatique : pourriez-vous l’expliquer ?

Un paradigme est l’équivalent d’un exemple ou d’un modèle. Donc un cas paradigmatique est un cas qui sert de modèle. Par exemple, le cas paradigmatique du faux témoignage est quelque chose comme « une tromperie délibérée visant à nuire à autrui » (5).

On pourrait imaginer une série de cas de faux témoignages, que l’on classerait en fonction de leur complexité, selon la quantité de circonstances aggravantes ou atténuantes qui y figureraient. Plus on en ajouterait, plus l’analyse morale du cas serait complexe. Mais le premier cas de la série, le plus simple et le plus parfait à la fois, ce serait le cas paradigmatique : « une tromperie délibérée visant à nuire à autrui ».

Mais les cas d’école sont souvent imagés. Ils sont faits pour attirer l’attention.

Oui, c’est l’un de leurs rôles. Un cas d’école s’impose comme une évidence. Il saute aux yeux, en quelque sorte, comme son proche voisin, le cas paradigmatique. Pour reprendre les termes de deux auteurs, on le « reconnaît sur-le-champ pour ce qu’il est » (6).

Ce pouvoir évocateur, on le trouve dans beaucoup de textes où l’expression « cas d’école » est citée dans le titre ou dans un sous-titre, sans que la notion soit développée. On veut par là convaincre de l’importance d’une situation, en soulignant son caractère exemplaire. Mais au-delà de cet usage rhétorique, le cas d’école renvoie à une méthode de raisonnement moral. Et c’est à elle que, très indirectement, l’article du Temps a fait allusion.

(1) Voir « A Genève, le procès des affaires guinéennes de Beny Steinmetz s’annonce houleux », Le Temps, 11 janvier 2021.

(2) « L’affaire Steinmetz, ‘c’est un cas d’école en matière de corruption’ », Le Temps, 14 janvier 2021. On pourra aussi consulter mon court article : « Qu’est-ce qu’un cas d’école », 22 janvier 2021.

(3) V. Carraud & O. Chaline, « Casuistique », in M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996.

(4) F. Zimmermann, « La casuistique dans la bioéthique américaine », in J.-C. Passeron & J. Revel (dir.), Penser par cas, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2005.

(5) A. R. Jonsen & S. Toulmin, The abuse of casuistry: A history of moral reasoning, Berkeley, University of California Press, 1988.

(6) Ibid.

Image: Piyapong Saydaung

Interview réalisée par Laurence Aubron

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