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Guerre en Ukraine : la bataille des perceptions - Hashtag PFUE avec Joséphine Staron

Guerre en Ukraine : la bataille des perceptions - Hashtag PFUE avec Joséphine Staron

Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.

Le Président Ukrainien Volodymyr Zelensky s’est exprimé mercredi devant le Parlement français, et hier devant l’OTAN. La guerre en Ukraine se joue aussi sur le terrain de la communication ?

Oui on parle souvent de l’aspect militaire de cette guerre. Mais on oublie qu’elle se joue ailleurs que sur le terrain des opérations. Il y a une véritable bataille des perceptions, de la communication et de l’image qui a lieu, et qui a commencé avant même les opérations militaires. 

Est-ce qu’on peut dire que, sur le plan de la communication, le Président Ukrainien a une avance sur son adversaire ?

Oui, le Président Zelensky semble avoir pris une certaine avance en ralliant une grande partie de l’opinion publique occidentale à sa cause. Depuis qu’il a troqué son costume de chef d’État pour un habit de chef de guerre, le Président Ukrainien est devenu, en très peu de temps, un véritable symbole de la résistance, une figure de la lutte pour les libertés et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

C’était l’effet recherché par Zelensky ou bien est-ce que ça lui est « tombé dessus » ?

Non c’était clairement une stratégie bien élaborée. Il se savait plus faible sur le plan militaire, donc il a beaucoup misé sur sa communication : par exemple avec des vidéos-selfies quasi quotidiennes, des discours réguliers devant les Parlements des plus grandes Nations, l’interpellation des dirigeants européens, internationaux et même de son ennemi direct, Vladimir Poutine. Donc on voit dans ce conflit que Zelensky redéfinit les codes de la communication en temps de guerre pour les adapter au XXIème siècle et à l’hypermédiatisation qui le caractérise. 

Et comment expliquer qu’en l’espace de quelques jours, Volodymyr Zelensky est passé de Président méconnu à figure mondiale de la résistance ?

Il y a plusieurs éléments qui expliquent cette soudaine notoriété. Tout d’abord, le contexte, bien sûr. En l’espace de quelques heures, l’Europe a de nouveau basculé dans une époque qu’elle pensait révolue : celle de la guerre sur son propre sol. Donc le 24 février, la sidération fut totale. Et c’est ce que cherchait d’ailleurs Vladimir Poutine : en prenant tout le monde par surprise et en jouant sur la naïveté des Européens, il pensait avoir gagné un temps précieux qui lui vaudrait une victoire rapide. 

Mais les choses ne se sont pas tout à fait déroulées comme prévu ?

Non il a sous-estimé la résistance des Ukrainiens, et la ténacité de leur Président qui adopte très vite le rôle du chef de guerre, prêt au combat, appelant tous les hommes en âge de se battre à prendre les armes pour défendre la patrie contre l’envahisseur illégitime. 

Mais si Zelensky est devenu un symbole de la résistance et de la liberté mondialement connu, c’est aussi parce qu’il a su manier l’art de la communication de crise comme peu de chefs d’États avant lui.

Comment est-ce que le Président Volodymyr Zelensky organise sa communication ?

La stratégie de communication du Président ukrainien poursuit trois objectifs. Tout d’abord, soutenir sa population, encourager les Ukrainiens à se battre, à résister, et à tenir face aux difficultés de la guerre. Le second objectif, c’est de défier son adversaire, de lui montrer qu’il ne reculera pas, qu’il n’a pas peur de montrer qu’il est toujours dans Kiev, dans son palais présidentiel. Zelensky joue beaucoup sur l’image, notamment la sienne : on a d’un côté, l’image du Président attaqué, jeune, qui va lui-même au combat, abandonnant son costume et sa cravate, n’hésitant pas à se mettre physiquement en danger ; et de l’autre, on a l’image du Président attaquant, en moins bonne forme physique, seul derrière son grand bureau, qui donne ses ordres de loin, sans prendre de risque pour sa personne. 

Donc mises côte à côte, les deux images semblent donner l’avantage à Zelensky. Mais elles peuvent aussi susciter une perception inverse – c’est d’ailleurs tout l’art de la communication et de la manipulation de l’image. Les Russes peuvent au contraire y voir, d’un côté, leur Président qui reste calme, impassible, fort et puissant, et de l’autre, le Président ukrainien acculé, forcé de renoncer aux apparats du pouvoir pour descendre se battre, montrant ainsi la faiblesse de ses forcées armées face à la grande armée russe.

Et le troisième objectif ?

C’est celui qui consiste à infléchir la position de la communauté internationale pour qu’elle vienne en aide à l’Ukraine. C’est ce troisième axe qui a le plus surpris, notamment parce qu’à bien des égards, il a atteint son but. Alors certes, aucun État ne s’est laissé convaincre d’entrer en guerre contre la Russie. Mais les sanctions économiques et commerciales qui ont été imposées par les Occidentaux à la Russie sont d’une ampleur sans précédent, et les appels incessants du président ukrainien n’y sont pas pour rien. 

D’où lui vient cette force de conviction ? 

On peut identifier deux raisons : la première, c’est la méthode employée qui s’est révélée efficace, notamment à travers la tournée des Parlements nationaux, du Congrès américain et du Parlement européen ou encore de l’OTAN que le Président Zelensky a entamé dès le début du conflit ; et la seconde raison c’est le recours systématique à l’Histoire des peuples et à leurs émotions collectives. A chaque intervention, le Président Zelensky mobilise les faits historiques qui ont le plus marqué l’histoire récente des pays auxquels il s’adresse. L’objectif c’est de susciter l’empathie, mais aussi la culpabilité, voire un sentiment de honte qui pourrait pousser les Occidentaux à lui venir en aide. Il touche la corde sensible des États occidentaux. 

La communication en temps de guerre, c’est avant tout une bataille des perceptions, et les deux présidents belligérants l’ont très bien intégré. Cette bataille est centrale et, aux côtés de la bataille militaire, elle déterminera sans aucun doute l’issue du conflit.

Joséphine Staron au micro de Laurence Aubron