Du 13 au 16 février, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.
Il reçoit des députés sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement pour faire le point sur les débats en cours. Jeudi 16 février Romain L'Hostis recevait l'euro-député français Eric Andrieu, membre du Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen.
Romain L’Hostis : Le 14 février, un vote a eu lieu en session plénière des eurodéputés. Un vote pour interdire les émissions de CO2, l’un des principaux gaz responsables du réchauffement climatique. Maintenant, ce sera zéro émission de CO2 pour les voitures et camionnettes neuves d’ici 2035. Un vote qui fait évidemment partie de la stratégie européenne pour 2050, le Green Deal et son objectif d’atteindre la neutralité carbone pour le continent. Pour bien cerner de qui on parle ici, les voitures et camionnettes, il faut donc entendre ici les transports des particuliers, des ménages. Et pas les poids lourds ou transports en commun ?
Eric Andrieu : Oui, tout à fait. Tout d’abord, l’objectif est de participer à la réduction d’émissions de CO2. Il n’y a pas la prétention à travers ce texte voté, dès lors qu’on va aller vers la réduction de 100% pour les voitures et camionnettes, cela ne va pas permettre la réduction de 100% du CO2 présent dans l’atmosphère. Mais cela participe d’un choix fort en termes de réduction des émissions des gaz à effet. Effectivement cela concerne les particuliers. Mais le même jour que ce vote, la Commission a fait une proposition pour les poids lourds. Une proposition pas encore discutée dans les débats.
R. L. : En termes de proportion dans les émissions, que représentent les émissions de CO2 des particuliers ?
E. A. : Je n’ai pas le chiffre en tête. Mais c’est important dans tous les cas. On sait bien que la partie des poids lourds sera un second enjeu majeur qui va entrer dans le débat. Mais là, c’était important pour remplir 3 objectifs : d’abord contribuer à l’objectif climatique à l’horizon 2030 et 2050. On a voté 3 grands textes majeurs qui sont le Green Deal, le Pacte Vert, car l’enjeu climatique est essentiel aujourd’hui, il va percoler toutes nos autres politiques publiques. Ce qui signifie qu’il faut que toutes nos politiques participent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. [...] On a voté un second texte qui s’appelle “Farm to Fork”, pour traduire dans les politique publiques tout le volet alimentaire et agricole. De telle sorte que ces secteurs là participent également dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
R. L. : Avec une régulation sur les pesticides notamment
E. A. : Exactement, c’est toute la partie du sol, de l’eau etc. Et enfin, nous avons adopté une stratégie de biodiversité, car celle-ci participe de ce grand schéma. Là aujourd’hui, à travers ce texte voté, c’est un pas important, une traduction claire pour dire on prend en responsabilité les particuliers, en réduisant les émissions de CO2 des voitures et véhicules utilitaires légers. Il y a un second objectif qui est de fournir aux consommateurs et citoyens le déploiement plus large de véhicules à émissions nulles. Cela permet de rendre acteur le citoyen-consommateur européen dans cet enjeu politique majeur qui le concerne au premier chef. Ce n’est pas un travail théorique. Et le 3e objectif, c’était pour renforcer le leadership européen dans la technologie, dans la chaîne de valeur automobile. Aujourd’hui on est en retard par rapport à la Chine, par rapport au Japon, par rapport à la Corée, en particulier sur les véhicules électriques où ils ont pris beaucoup d’avance. Il est important aujourd’hui que l’Union européenne soit au rendez-vous à la fois du climat, mais de la technologie et de l’emploi.
R. L. : Cette mesure intervient dans des cadres législatifs qui existent déjà. Jusqu’à présent, cette réduction des émissions de CO2 s’inscrivait dans une première échéance, le Fit For 55, paquet législatif pour réduire de 55% les émissions de CO2. ça concernait aussi les voitures et camionnettes. D’ici à 2030 il fallait les réduire de moitié ces émissions de CO2. Désormais on doit les réduire de 100% pour 2035. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce une accélération de la politique européenne, ou bien reste-t-on dans une lignée, une continuité ?
E. A. : Non, c’est une lignée. Il faut bien expliquer à nos auditeurs ce dont il est question. On a fixé les grands objectifs : le Green Deal est un grand objectif pour dire d’abord, prise de conscience que le climat est un enjeu majeur pour l’avenir de notre planète. Et qu’il faut que tout un chacun, de l’acteur du quotidien jusqu’au gros industriel, nous agissions de la sorte. Là, nous avons traduit ces objectifs là par une approche opératoire, Fit For 55, où on a pris un certain nombre de secteurs [...] pour traduire dans le concret, passer d’objectifs globaux à des objectifs opérationnels. Et là on traduit dans le concret ce qu’il nous faut faire pour tendre vers cet objectif de neutralité carbone.
R. L. : Oui, car il ne faut pas confondre zéro émissions avec une neutralité carbone, qui est davantage une forme de compensation entre captation carbone et émissions de CO2.
E. A. : Exactement. Il y a eu effectivement dans la temporalité, atteindre la neutralité carbone en 2050. Du coup, on a phasé ces différentes étapes pour y arriver. Il y a eu une étape d’abord pour 2025, on avait dit qu’il fallait 15% de réduction pour les voitures et camionnettes. On a dit également qu’en 2030 ce sera 55%. Car il faut laisser le temps aux industries et acteurs de s’adapter à cette dynamique là. Pour arriver à un objectif de 100% pour les voitures et camionnettes en 2035. Nous sommes en 2023. Cela laisse du temps à la fois aux industriels - qui sont déjà sur le chemin, ils ont déjà beaucoup travaillé là dessus - de produire des parcs automobiles qui répondent à ces objectifs, et de mettre en place des mesures d’accès pour le citoyen lambda à ces véhicules là. Puisque le volet social dans cette transition est important. C’était l’objet du débat en plénière notamment : il y a un problème de coût. Et il faut faire en sorte que la transition se passe dans les meilleures conditions, et que les moyens dédiés permettent à tout un chacun d’accéder à ces véhicules là.
R. L. : Intéressons nous maintenant aux résultats de ce vote : 340 voix pour cette nouvelle règle. 279 ont voté contre. Finalement un écart assez réduit. Comment expliquer ce manque de consensus ? S’agissait-il d’une mesure trop radicale pour certains ?
E. A. : Oui, je pense que là on voit un clivage entre les conservateurs, les libéraux, et les progressistes. De façon plus triviales, j’ai envie de dire que les conservateurs et libéraux ont lâché en rase campagne le Green Deal. Il y a un problème de paradoxe dans leur comportement selon ma lecture. Ils ont été acteurs pour voter le Green Deal, comme grand objectif. Mais dès lors qu’il faut passer dans les moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif, ils ne sont plus au rendez-vous. Là on voit bien un repli de conservatisme, en disant “oui, on y croit sans y croire, tout en y croyant” comme aurait dit Confucius. C’est un sujet qui doit nous préoccuper, car ce choix climatique, s’il est un enjeu majeur, il faut que nous ayions le courage pour prendre les mesures et décisions en conséquence. J’appelle cela de la responsabilité politique. Fixer les grands objectifs mais ne pas se fixer les moyens pour les atteindre, j’appelle cela de l’irresponsabilité politique. Effectivement ce vote serré est inquiétant quelque part, car il montre qu’il y a une fragilité dans notre belle démocratie, et que le poids des lobbys est encore très fort dans cette assemblée, et que le lobby de l’industrie automobile a pesé de tout son poids au près du PPE, de l’ECR, de ID, où on agit le chiffon rouge de l’emploi etc. Là, soit on croit en un monde meilleur et on prend les mesures pour y parvenir, soit on reste sur l’adage où il faut que tout change pour que rien ne change. Dans ce cas, nous ne changerons pas, et ce n’est pas responsable, ni pour nos enfants, ni pour nos petits-enfants.
R. L. : A vous entendre, le phénomène de green-washing - vouloir paraître plus vert qu’on ne l’est - est en train de s’inviter au Parlement européen ?
E. A. : Ce n’est pas du green washing. Là, il y a des questions éminemment politique. Je vais me répéter, car c’est la meilleure des pédagogies. Ou nous considérons que le climat est un enjeu pour notre quotidien, pour nos mobilités… Il faut aussi profiter de ce moment là pour penser différemment les logiques de mobilités : on ne peut pas continuer à utiliser la voiture comme on l’a utilisé ces 50 dernières années. Aller d’un point à un autre, est-ce que seule la voiture peut le permettre. Il n’y a pas que la technologie sur les émissions nulles. Il y a aussi notre propre comportement. Je pense qu’il faut qu’on apprenne à produire différemment, à consommer différemment, si on veut être au rendez-vous de l’histoire.
R. L. : En ce qui concerne l’application à venir de ce texte, comment va-t-on s’assurer que les voitures neuves vont bientôt respecter cette exigence de zéro émission. On se rappelle encore de l’affaire de Volkswagen qui avait traffiqué des tests d’homologation pour faire passer ses modèles de voitures comme moins polluants qu’ils ne l’étaient en réalité. Comment empêcher que cela ne se reproduise ?
E. A. : D’abord pour l’adoption d’un acte législatif comme celui que nous venons de prendre. Ensuite par des contrôles. Mais il faut aussi prendre en compte la temporalité : aujourd’hui nous sommes en 2023. L’objectif est pour 2035, donc il y a encore du temps pour arriver à un état de zéro émission. D’ici là, il faut qu’à chacune des échelles, les contrôles s’organisent. A partir de là les choses devraient se dérouler convenablement. Tout le monde a à y gagner. Car aujourd’hui, on voit bien qu’on est sur du leur. Les fabricants automobiles ou l’industrie automobile a déjà progressé sur ces secteurs là. Vous prenez toutes les marques, tout le monde est là dessus. L’inconnue aujourd’hui, on est que sur le véhicule électrique, c’est un sujet. Mais ce n’est pas ce que dit le texte : le texte dit qu’il faut définir un objectif clair mais on parle pas d’électrique. Car la question de l’hydrogène s’est posée aussi dans le débat évidemment. C’est à-dire que la technique et la recherche évoluent. Il y a des éléments que nous maîtrisons, et d’autres que nous ne maîtrisons pas.
R. L. : Cela reste donc ouvert aux futures solutions à mettre en place ?
E. A. : Exactement.
R. L. : Car ce texte met fin aux moteurs thermiques : essence, diesel. Hybrides aussi. Mais à vous entendre, cela ne signifie pas qu’on va tous rouler en électrique ?
E. A. : Exactement. J’ai beaucoup d’espoir dans la recherche de ce continent, et je vois bien à quelle allure les choses avancent sur le secteur de l’hydrogène, mais pas que. On voit bien que pour les mobilités terrestres, il y a des choses qui se déroulent, qui sont dans l’expérimentation. On est presque au point pour faire voler des avions avec de l’hydrogène. C’est pas encore tout à fait abouti, mais il y a bon nombre d’expériences qui sont aujourd’hui en cours, on approche du résultat. On peut raisonnablement penser que dans les 12 ans qui arrivent, les choses vont s’accélérer. Je crois qu’il est important de dire que c’est de la responsabilité du politique de prendre des décisions pour booster et accélérer les process.
R. L. : Va-t-on prévoir un accompagnement des sociétés ? Est-ce que la production industrielle va suivre le rythme ? Comment garantir que l’accès à ces voitures neuves reste abordable ?
E. A. : En ce qui concerne l’accompagnement des sociétés. Aujourd’hui, ils ont les moyens des résultats. Mais pour autant s’il y a nécessité d’accompagnement.. de toute façon c’est déjà le cas. Il y a des crédits européens qui fonctionnent et qui permettent d’accompagner la production. Et oui, la question sociale de l’accès se pose effectivement, et ce sont des sujets qui sont aussi compris dans le texte que nous avons voté hier, pour évaluer. Mais cela se fera étape par étape, sachant qu’il y aura une clause de revoyure du texte en 2026. Les choses avancent, il y a un premier temps d’observation en 2025, et ce qu’on appelle dans le jargon européen la clause de revoyure en 2026 pour effectivement voir tout ce qui fonctionne, et tout ce qu’il nous faut réviser par rapport aux décisions adoptées.
[...]
Merci Eric Andrieu.