Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Alors qu’Ursula von der Leyen devrait présenter son nouveau collège de commissaire dans quelques jours, vous souhaitez revenir sur les conséquences multiples des dernières élections européennes. Une première question s’impose : sont-elles le signe d’une rupture ou d’une continuité de la politique européenne des cinq dernières années ?
Les deux à la fois. On attend encore les noms et les porte feuilles des prochains Commissaires mais il ne devrait pas y avoir de surprise majeure dans les noms proposés par les États membres, même si la plupart ont décidé de ne pas reconduire leur commissaire et ont donc proposé de nouveaux candidats. En revanche, la France a bien proposé la reconduction de Thierry Breton. Mais il y a une nouveauté cependant : la recherche de parité. Ursula von der Leyen a fait savoir à chaque État membre que s’ils ne souhaitaient pas reconduire leur commissaire actuel, ils devraient proposer deux noms – un homme et une femme. Et ça c’est inédit.
Quand la nouvelle Commission entrera-t-elle en fonction ?
Pas avant novembre ou décembre. Les futurs commissaires européens devront d’abord être auditionnés par le Parlement européen et recevoir l’aval des Parlementaires. Et il faudra attendre une session plénière du Parlement pour que le vote de l’ensemble de la nouvelle Commission européenne ait lieu. Mais rien n’est fait : les parlementaires pourraient tout à fait rejeter certaines candidatures, notamment sur les gros portefeuilles. On se souvient d’ailleurs qu’en 2019 la candidate de la France, Sylvie Goulard, avait été retoqué par les députés. Le choix de la Présidente von der Leyen concernant la composition de la Commission est un signal à la fois en ce qui concerne le poids des États membres – lesquels se verront attribuer les plus gros portefeuilles ? – et aussi en ce qui concerne les orientations politiques – va-t-on donner plus de poids à l’industrie ou au climat, par exemple ? Certaines auditions risquent donc d’être assez musclées.
Suite aux dernières élections européennes, peut-on dire que le Parlement aura davantage de poids et d’influence dans cette nouvelle mandature ?
Pas forcément davantage mais les rapports de force ont sensiblement évolué. Si le Parti populaire européen (la droite traditionnelle) sort à nouveau gagnant de ce scrutin, et que les socio-démocrates se maintiennent, les libéraux de Renew et les Verts sont les grands perdants de cette élection. Cette baisse significative est notamment dûe, pour Renew, au faible score de la liste Renaissance en France (- 10 sièges), ainsi que son équivalent en Espagne (- 8 sièges). Concernant les Verts, là aussi la baisse du parti écologiste français explique leur recul au Parlement européen (- 7 sièges), ainsi que le parti écologiste allemand (- 9 sièges). Le recul des écologistes en Europe est un tournant important puisque qu’il reflète un changement de perception concernant le Pacte Vert. Les ambitions climatiques sont toujours présentes, mais d’autres enjeux majeurs viennent freiner ces ambitions : la guerre en Ukraine et le besoin de réarmement et de réindustrialisation du continent, ou encore la crise agricole et la colère des agriculteurs qui exigent une pause réglementaire, notamment au regard du Pacte Vert.
On a vu que les droites radicales avaient également pris du galon suite aux élections. Quel impact cela peut-il avoir ?
Les résultats des élections européennes ont confirmé la tendance de ces vingt dernières années : les droites radicales progressent partout en Europe. On l’a d’ailleurs vu dans l’Est de l’Allemagne le week-end dernier, où l’AFD a obtenu des gains majeurs. Au niveau du Parlement européen, on n’a pas assisté au raz-de-marée promis par certains, mais les scores des droites radicales sont néanmoins significatifs. Mais la plus grande surprise, c’est surtout la création d’un nouveau groupe au Parlement, à l’initiative du Premier ministre hongrois Viktor Orban : les Patriotes pour l’Europe. Avec 84 eurodéputés, ce nouveau parti constitue désormais la troisième force politique du Parlement, derrière le PPE et les Socio-démocrates, et juste devant le groupe ECR dirigé par l’italienne Georgia Meloni.
Peut-on dire que les Patriotes sont un part d’extrême droite ?
Ils sont composés des partis de droites parmi les plus radicaux d’Europe : le Rassemblement national français, le Fidesz hongrois, le FPÖ autrichien, l’ANO Tchèque qui siégeait auparavant chez Renew, la Lega de Matteo Salvini, le parti Vox en Espagne qui a quitté les rangs d’ECR, ou encore le PVV hollandais de Geert Wilders. Seule l’AFD allemande manque à l’appel puisque ses 14 eurodéputés ont décidé de créer leur propre parti, « L’Europe des nations souveraines », composé à ce jour de 25 députés, dont la française Sarah Knafo de Reconquête.
Le Premier ministre hongrois, en créant ce nouveau parti, cherche-t-il à imposer son leadership en Europe ?
Oui c’est certain, d’autant que la Hongrie assure en ce moment même la présidence tournante de l’UE. Et dès le début de la présidence hongroise en juillet, les déplacements de Viktor Orban montrent qu’il entend jouer un rôle de premier plan : dès le 2 juillet, il s’est rendu en Ukraine et a rencontré Volodymyr Zelensky. Quelques jours plus tard, il rencontre Vladimir Poutine à Moscou, ce qui envoie le signal aux Européens et au monde qu’il veut se positionner en négociateur de paix. Après l’Ukraine et la Russie, c’est à Pékin que se rend le Premier ministre hongrois où il rencontre le Président Xi-Jinping. Deux mois auparavant, le Président chinois était à Budapest pour discuter des milliards investis par la Chine en Hongrie, dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Donc oui la Hongrie veut se positionner comme un acteur clé, incontournable, dans la conduite des affaires internationales de l’Europe, qu’elles soient politiques, commerciales ou en matière de sécurité et de défense. S’il est encore trop tôt pour savoir s’il réussira à imposer certaines de ses vues à ses partenaires européens, Viktor Orban avance ses pions et mise sur la « droitisation » du Continent.
On vous retrouve la semaine prochaine pour la deuxième partie de votre chronique consacrée aux conséquences des élections européennes.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron