Parlement européen - Session Plénière

Plénière au Parlement : André Rougé - le chlordécone : que peut faire l'UE ?

Plénière au Parlement : André Rougé - le chlordécone : que peut faire l'UE ?

Du 13 au 16 février, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.

Il reçoit des députés sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement pour faire le point sur les débats en cours. Jeudi 16 février Romain L'Hostis recevait l'euro-député français André Rougé du groupe "Identité et Démocratie".

Romain L'Hostis : Alors, avant d'aller plus loin pour nos auditeurs, est-ce que vous pouvez nous rappeler un petit peu l'histoire malheureuse de l'usage de ce pesticide qu’est le chlordécone?

André Rougé : Écoutez avant de compléter sur le chlordécone je souhaiterais préciser que je suis par ailleurs délégué national à l'outre-mer du Rassemblement national et que, à ce titre, j'ai choisi de siéger dans la commission du développement régional (REGI) qui traite des régions ultrapériphériques de l’Union européenne : Mayotte, la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et Saint-Martin.

R. L : Et qui sont bien évidemment des territoires européens, malgré leur éloignement géographique.

A. R. : Des territoires européens et des territoires, départements, régions et collectivités d'outre-mer françaises. Alors, le chlordécone, plutôt que de revenir sur les causes, les responsabilités qui est un débat sans fin auquel se livrent les élus locaux des Antilles et le gouvernement, je pense qu'il est important de réfléchir à des solutions concernant le chlordécone. Le chlordécone, c'est donc ce pesticide qui a été utilisé dans les années 70 pour traiter un parasite dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe. Le chlordécone a empoisonné les sols, les sous-sols, les cours d'eau et les rivages de Martinique et de Guadeloupe. Ça a bien évidemment une incidence sur la pêche et sur l'agriculture dans ces 2 départements d'outre-mer et surtout, ça a une incidence sur la santé de nos compatriotes antillais. Alors, nos compatriotes antillais, comme souvent d'ailleurs, nos compatriotes ultramarins, en ont assez d'être les oubliés de l'Union européenne, mais pas exclusivement puisque lors de la crise des Gilets jaunes, le président de la République Emmanuel Macron avait reçu une délégation d'élus d'outre-mer à l'Élysée et devant l'affirmation de Victorin Lurel, ancien ministre de François Hollande et ancien président de la région Guadeloupe, qui affirmait que le chlordécone était une substance cancérigène, Emmanuel Macron a absolument nié la réalité. Avant de se reprendre quelques jours plus tard à la suite de l'affirmation d'un professeur de médecine. Donc tout ça pour dire que nos compatriotes ultramarins en ont marre, ils en ont ras-le-bol d'être considérés comme des citoyens de 2ème catégorie. C'est vrai pour le chlordécone, c'est vrai pour les algues sargasses, c'est vrai pour le coût de la vie. C'est vrai pour tout malheureusement et ça fait une quinzaine d'années. Depuis le retrait de la vie politique de Jacques Chirac, ils sont complètement laissés à l'abandon. 

R. L : Ce pesticide est interdit depuis les années 90 mais ce scandale continue aujourd'hui. Mais à quel point la contamination est-elle encore présente aujourd'hui?

A. R. : La contamination est omniprésente puisque les sols et les sous-sols sont empoisonnés pour des centaines d'années malheureusement. Donc là, à l'heure actuelle le débat est de savoir qui est responsable. Alors bien sûr qu'il faut indemniser nos compatriotes malades des effets secondaires du chlordécone mais ce qu'il convient de faire surtout, c'est de réfléchir tous ensemble à une solution pour voir comment surmonter ce problème. Pour améliorer les conditions de pêche et d'agriculture aux Antilles et à ce sujet, durant la campagne présidentielle dans son programme, Marine Le Pen avait proposé la création d'une mission interministérielle avec un représentant du ministère de la recherche du ministère de la santé, du ministère de l'Agriculture et bien évidemment sous la sous la tutelle du ministère de l'outre-mer. Parce que ce qui est important, c'est de se projeter, c'est d'envisager l'avenir. Ensuite, il y a eu ce non-lieu récent qui est désolant, qui a mis les Antillais en colère et on peut le comprendre. 

R. L. : On reviendra dessus. 

A. R. : Les indemnités pour les malades des effets secondaires du chlordécone parce qu'il faut rappeler que, à cause du chlordécone les Antillais connaissent le triste record mondial du nombre de malades du cancer de la prostate. Donc il est bien évident que l'État doit faire ce qu'il doit, pour indemniser les malades des effets secondaires du chlordécone. Mais comme je le disais tout à l'heure, il faut surtout se projeter pour voir comment surmonter l'avenir.

R. L. : Est-ce que c'est un problème qui touchait seulement les Antilles ou est-ce que d'autres consommateurs européens ou d'autres pays européens ont utilisé ce produit ou ont souffert de l'usage de ce produit?

A. R. : Écoutez pas à ma connaissance, je me suis malheureusement concentré sur nos départements français des Amériques puisque charité bien ordonnée commence par soi-même. Et à ce sujet, j'avais même déposé des amendements au sein de rapports de la commission du développement régional, la Commission REGI. J'avais déposé des amendements sur le rapport de Monsieur Tonino Picula et à des amendements sur le rapport de Monsieur Stéphane Bijoux alors l'un des membres du groupe socialiste et l'autre du groupe Renaissance. Alors que croyez-vous qu'il arriva? C'est un peu comme ce à quoi on assiste en ce moment à l'Assemblée nationale, dans le débat concernant la réforme des retraites, dès lors que c'est le Rassemblement national qui dépose des amendements, on fait absolument abstraction de l'intérêt général, c'est l'esprit partisan qui reprend le dessus et les amendements que j'avais déposés de façon à ce que le l'Union européenne s'empare du sujet du chlordécone n'ont même pas été examinés. Voilà donc c'est un peu dommage 

R. L. : Vous parlez de quelle année?

A. R. : C'était la l'année dernière et il y a 2 ans, là, sur le, les rapports Picula et Bijoux.

R. L. : Pourtant la Commission européenne en 2020 a reconnu le chlordécone comme polluant environnemental, non ?

A. R. : Oui, mais comme je vous le disais. Reconnaître le chlordécone comme polluant ce sont les débats dont il faut sortir. Tout le monde est d'accord sur le fait que le chlordécone soit polluant et il faut en cela remercier Madame Marine Le Pen qui a été la première à saisir la représentation nationale en interpellant Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de l'écologie et de l'environnement. A l'époque, elle a été la première personnalité politique d'envergure nationale à saisir l'Assemblée nationale du sujet, comme d'ailleurs pour les algues sargasses, ce sont 2 sujets environnementaux majeurs qui concernent les Antilles. Et c'est Madame Marine Le Pen qui s'est suspendu à la poignée du signal d'alarme pour attirer l'attention. Avant cela, personne ne s'était vraiment penché, si ce n'est les élus martiniquais et guadeloupéens dont la voix n'était pas entendue au niveau national. Personne ne s'était vraiment penché sur ces 2 sujets environnementaux majeurs.

R. L. : À présent, évoquons les possibles évolutions de ce dossier à partir de 2023. Vous l'avez rapidement évoqué, c'est ce fameux non-lieu qui a eu lieu en janvier 2023. Dix-sept ans après la première plainte, c'est le pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris qui a signé cette ordonnance de non-lieu, mettant fin à cette procédure judiciaire. Ils ont reconnu un scandale sanitaire mais ont estimé qu'il était trop difficile - je cite - de rapporter la preuve pénale des faits dénoncés. Alors pourquoi parle t-on d'un nouveau scandale ici?

A. R. : Écoutez, nous vivons dans un État de droit dans lequel il existe la séparation des pouvoirs et il est difficile pour moi de commenter une décision de justice en tant que représentant du pouvoir législatif. Je comprends que cette décision de justice ait été mal vécue par nos compatriotes français de Martinique et de Guadeloupe. Et comme je vous le disais, il faut maintenant se projeter dans l'avenir, voir comment on peut organiser, comment on peut assainir l'eau des rivières, l'eau des rivages, comment mettre des stations d'épuration un peu partout. Sur les rivages. Comment on pourrait réfléchir à une culture hors-sol, de façon à ne pas être gêné par l'empoisonnement des sols et des sous-sols. Il faut maintenant contourner l'obstacle et se projeter, et voir l'avenir.

R. L. : Et vous pensez que les autorités nationales et européennes sont au rendez-vous de ce défi ?

A. R. : Absolument pas. Nos départements, régions, collectivités d’outre-mer sont malheureusement les parents pauvres de la République. Cela fait une quinzaine d’années qu’ils sont abandonnés, que le gouvernement représentant l’Etat fait le service minimum. C’est vrai pour le chlordécone, pour les algues sargasses. Je vous rappelle quand même que le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait se défausser l’Etat de ses responsabilités sur les collectivités locales dans ce scandale des algues sargasses. Puisqu’au regard de la Convention de Montego Bay des Nations Unies en 1982, les eaux territoriales sont de la responsabilité de l’Etat. Le gouvernement a royalement mis la main à la poche à hauteur de quelques dizaines de millions d’euros, là où il n’avait pas hésité en 2007 lors de la crise des algues vertes en Bretagne à créer une mission interministérielle, qu’avait budgété 300 millions d’euros pour venir au bout du problème. Ce deux poids deux mesures, les ultra-marins en ont marre. Ils en ont marre d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, et ne comprennent pas pourquoi les Antilles ne sont pas considérées au même niveau que la Bretagne. Cela vaut aussi pour un 3e scandale environnementale majeur, c’est celui de l’accès à l’eau courante. Un tiers de la population des Antilles n’a pas accès à l’eau courante. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait rénover tout le système d'adduction d’eau en Martinique et surtout en Guadeloupe. L’Etat qui devrait s’emparer du problème, car au XXIe siècle, quand deux départements de la 5e puissance mondiale n’ont pas accès à l’eau courante, il revient quand même à l’Etat de régler le problème. Mais le gouvernement de Monsieur Macron se réfugie derrière des arguties juridiques qui n’ont pas lieu d’être, pour dire que c’est de la responsabilité juridique des collectivités. Ce qui est vrai. Juridiquement, l’accès à l’eau courante dépend des collectivités locales, mais quand il y a un problème majeur comme celui-ci, il en va de la responsabilité de l’Etat. C’est ce que Marine Le Pen avait dit pendant sa campagne présidentielle, que le gouvernement devrait s’emparer du sujet pour le régler une bonne fois pour toutes.

R. L : Et vous pensez que c’est la même logique qui s’applique au chlordécone ? Est-ce que cela ne pourrait pas aussi s’agir d’une lutte entre lobbys, comme c’est le cas pour le glyphosate ? Cet autre pesticide, reconnu destructeur de populations d’insectes pollinisateurs, et “cancérigène probable” selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il est pourtant considéré comme indispensable par de nombreux agriculteurs, de betteraves notamment. Finalement c’est la Cour de Justice de l’UE qui a obligé la France à interdire les dérogations qui permettaient aux producteurs de betteraves de continuer à utiliser ce produit. Ce n’est plus le cas, ce qui a généré des manifestations. Est-ce que cela ne pourrait pas être la même chose pour le chlordécone, avec des producteurs de chlordécone qui ne voudraient pas être incriminés pour ce scandale ?

A. R. : Ecoutez, la première des responsabilités régaliennes de l’Etat c’est la sécurité des personnes et des biens. La sécurité physique, mais sanitaire aussi. Donc la lutte contre les pesticides susceptibles de générer des maladies cancérigènes comme c’est le cas pour le chlordécone, ça relève de la responsabilité de l’Etat. Et l’Etat doit donc prendre toutes ses responsabilités et se donner tous les moyens pour lutter contre les conséquences de ce pesticide, qui a empoisonné 2 départements français, de façon malheureusement durable.

R. L. : A présent, certains veulent faire appel à la CJUE pour relancer cette affaire, cette fois via le droit européen. Qu’en pensez-vous ? est-il trop tard pour indemniser les familles concernées ?

A. R. : Non je ne pense pas qu’il soit trop tard pour indemniser les familles concernées, mais avant que la CJUE s’empare de ce sujet, il faudrait que l’UE elle-même considère les régions ultrapériphériques qui sont majoritairement françaises, je le rappelle, qu’elle les considère comme des territoires à part entière. Cela commence par reconnaître, lorsqu’un parlementaire dépose des amendements majeurs liés à l’environnement et à la santé des ressortissants de Guadeloupe et de Martinique, qu’il n’y ait pas de déni de la part des parlementaires, fussent-ils membres de formation politique opposée. 

R. L. : A quoi faites-vous allusion ?

A. R. : Je reviens ici sur le fâcheux épisode que je racontais tout à l’heure, des amendements que j’ai déposés et qui n’ont même pas été examinés. Il y a un moment où c’est l’intérêt général qui doit primer sur tout le reste, sur l’esprit sectaire et partisan. J’aurais aimé que ces amendements concernant le chlordécone et les algues sargasses soient pris en compte par mes collègues, et ça permettrait d’ouvrir une brèche dans le dispositif européen, de façon à ce que l’UE prenne enfin la mesure de ces fléaux environnementaux, qui pourrissent la vie des Martiniquais et des Guadeloupéens.

R. L. : Avez-vous plus d’espoir pour le scandale des algues sargasses ?

A. R. : Le gouvernement s’empare petit à petit du sujet, mais enfin il est malheureux de constater que cela fait quand même plus de cinq ans que Emmanuel Macron est président de la République et qu’il aura fallu le harceler de façon constante et régulière pour obtenir un début d’ébauche de considération du sujet. Celui-ci n’est d’ailleurs pas encore pris à bras-le-corps. [...] On en est à la réflexion d’une étude de mise en place de barrages anti-algues sargasses en haute mer. Mais de quoi parlons-nous ? Cela fait plus de cinq ans que le président Macron a été élu, et on en est encore à l’état de réflexion, alors que les eaux territoriales sont de la pleine compétence de l’Etat [...]

R. L. : Vous, André Rougé, dans le cadre de votre mandat, en 2023 sur quel chantier - parmi ceux que l’on a évoqué - allez-vous focaliser vos efforts ?

A. R. : Le chantier primordial, c’est le chantier sanitaire, et pour moi, le chlordécone, les algues sargasses et l’accès à l’eau courante sont trois dossiers indissociables l’un de l’autre, ça fait beaucoup sourire vos confrères nationaux, qui se disent vous allez nous parler encore du chlordécone et des algues sargasses. Et la réponse est oui, tant que ces sujets n’auront pas été traités tels qu’ils doivent l’être, ce seront mes sujets prioritaires. J’ai la politique de répétition, et que je pense que pour être efficace, la politique c’est l’art de la répétition et tant que les sujets n’auront pas été pris en compte, vous pourrez m’entendre répéter ces sujets aux Antilles.