Parlement européen - Session plénière

Plénière au Parlement : Mounir Satouri - Vers un revenu minimum européen ?

Plénière au Parlement : Mounir Satouri - Vers un revenu minimum européen ?

Du 13 au 16 mars, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.

Il reçoit des députés sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement pour faire le point sur les débats en cours. Mercredi 15 mars Romain L'Hostis recevait l'euro-député français Mounir Satouri, membre du Groupe des Verts au Parlement européen, et membre de la commission de l'emploi et des affaires sociales (EMPL)

Romain L'Hostis : Aujourd'hui nous allons parler d'un chantier encore en développement, mais qui semble progresser surtout aujourd'hui en pleine crise inflationniste et de hausse du coût de la vie. Pour en parler nous recevons Mounir Satouri. Lors de la session plénière, vous avez pris la parole lors d'un débat sur le revenu minimum européen. Résultat : une résolution a été votée et adoptée. Grâce à cette résolution, les eurodéputés appellent à une directive européenne sur un revenu minimum adéquat. Faisons un point sur les notions dont il s'agit ici. Aujourd'hui, 21 des 27 Etats-membres de l'UE ont adopté un régime de rémunération minimum : dans cette appellation, on englobe les salaires minimum comme le SMIC en France, mais aussi des dispositifs comme le RSA (revenu de solidarité active). Donc une grande variété de dispositifs, car en Europe il n'y a pas de dispositif uni ?

Mounir Satouri : En vrai, moi depuis mon élection en 2019 je suis venu ici avec la conviction de travailler sur l'Europe sociale. J'en avais ras-le-bol que l'Europe ne soit perçue par nos concitoyens que comme l'outil de la concurrence des uns contre les autres ; d'être à la fois victime du manque de courage ou de la lâcheté de nos dirigeants, qui viennent décider au Conseil à l'unanimité ou à la majorité qualifiée, et du populisme d'extrême-droite. Donc depuis le début de ce mandat, mon obsession est de construire l'Europe sociale, et on le fait à plein d'égards. Malgré le carcan des Traités d'aujourd'hui, on peut avancer. Il faut beaucoup d'engagement, il faut de la conviction, de la volonté politique, et de la négociation. C'est comme ça que se construisent les textes ici dans cette maison. Donc on a fait la transparence salariale femmes-hommes : moi comme écolo, je la voulais à partir de [sociétés de ] 10 salariés, on l'a à 50 salariés. Les libéraux et la droite la voulaient à partir de 500 salariés, c'est-à-dire pour pas grand monde. On a fait la directive pour les travailleurs des plateformes : on a inversé au niveau européen la charge de la preuve. Ce n'est plus à celui qui - pour survivre est obligé de s'en remettre aux plateformes pour se nourrir, se loger ou chauffer son appartement - mais à la plateforme de prouver qu'il n'y a pas de subordination en cas de litige. C'est une avancée importante qui concerne 28 millions de personnes. On a fait le salaire minimum européen, alors que la Commission européenne nous expliquait pendant des heures, que les Traités ne le permettaient pas, que ce n'était pas possible. Et vous savez quoi ? On n'a rien lâché, et on l'a fait. Aujourd'hui, une directive européenne a installé un salaire minimum européen dans chaque pays. Ce ne sera pas le même chiffre, car les niveaux de vie ne sont pas les mêmes, les différences sont tellement importantes qu'on ne peut pas du jour au lendemain avoir le même chiffre à la fin du mois sur ce salaire minimum. Mais ce qui a été notre objectif c'est la décence. Ce salaire doit permettre à chacune et chacun demain, d'avoir un salaire qui permette de vivre dans la dignité.

R. L. : C'est ça que vous mettez derrière le terme "adéquat"?

M. S. : Oui. Sur ces sujets-là, il faut être concret. Dans deux ans, quand tous les Etats-membres auront ratifié la directive salaires minimum, 25 millions de travailleurs vont voir leur salaire augmenter. La différence de salaire entre les hommes et les femmes, car malheureusement les femmes sont mal payées, va être réduite de 5%, et la pauvreté au travail va être réduite de 10%. La résolution qu'on vient d'adopter aujourd'hui s'attaque à la pauvreté en dehors du travail, la pauvreté de ceux qui sont exclus du marché de l'emploi.

R. L. : Oui, par rapport à cette directive sur le salaire minimum adoptée en octobre 2022, que vient ajouter cette nouvelle résolution sur le revenu minimum adéquat ?

M. S. : Une résolution n'a pas de valeur de contrainte. Que dit notre résolution ? Elle dit "nous voulons partout dans les 27 Etats un revenu minimum qui permette de prévenir la pauvreté, qu'elle soit au niveau du seuil de pauvreté. Vous avez dit plus tôt que 21 Etats ont établi un système national de revenu minimum. Sauf qu'il n'y a que deux Etats où ce système est équivalent au seuil de pauvreté. C'est-à-dire qu'aujourd'hui il n'y a que 2 Etats sur les 27 qui ont un revenu minimum qui permette de vivre au moins au niveau du seuil de pauvreté.

R. L. : Le seuil de pauvreté c'est environ 1100 euros. Le RSA, je crois c'est la moitié : environ 500 euros.

M. S. : Exactement. Ce que je suis en train de vous dire, c'est que même la France n'y est pas. Et la résolution dit "pour toutes et tous". En France, le RSA, les jeunes en sont privés. Il y a d'autres pays européens où le revenu minimum, même s'il n'est pas au niveau du seuil de pauvreté, les jeunes y ont droit. Et ce sont ces deux objectifs qu'on va porter dans le cadre d'une directive, et notre résolution d'aujourd'hui appelle à une directive. Ma grande crainte c'était que cette partie là ne soit pas votée, qu'il n'y ait pas de majorité au Parlement sur la partie : on veut une directive qui dise cela.

R. L. : L'Europe n'a pas la compétence pour imposer à un Etat un niveau de salaire minimal.

M. S. : ça c'est ce qu'ils disent !

R. L. : comment êtes vous parvenus à obliger cela ?

M. S. : En fait on a cherché, car les Traités nous sont présentés comme quelque chose de monstrueux, c'est vrai c'est beaucoup de texte. Et on a trouvé un article 153 qui dit que en vue d'atteindre les objectifs de l'article 151, l'UE soutient et complète les actions des Etats-membres dans les domaines suivants, et parmi ces domaines là l'intégration des personnes exclues du marché du travail. Et, l'article 153 dit que des textes avec des exigences minimales peuvent être adoptés par voie de directive. Donc on a trouvé ce petit trou, on va passer par ce petit trou, on va s'y installer, et on va imposer une avancée sociale pour toutes et tous. Pour tous les Etats européens où il n'y a pas de revenu minimum, pour tous les Etats européens où il y a un revenu minimum mais qui ne garantit pas de vivre au niveau du seuil de pauvreté, et pour tous les Etats où le revenu minimum qui existe ne s'adresse pas à toutes et tous, et exclu toute une partie de la jeunesse. Comme la France. Moi j'en ai marre de voir des jeunes entre 18 et 25 ans qui sont obligés de faire la queue dans des banques alimentaires pour pouvoir se nourrir, ou qui doivent travailler en parallèle de leurs études. Je veux que ce droit devienne universel, et je veux qu'on se batte pour l'augmenter. Et c'est à contre-courant de ce qui se passe aujourd'hui.

R. L. : en France ?

M. S. : En France ! Non seulement, aujourd'hui ils persistent à dire pour les jeunes "non, jamais", mais en plus ils disent pour ceux qui touchent le RSA, c'est fini la gratuité, c'est fini l'assistanat, maintenant il faut faire des heures de boulot pour mériter de l'avoir. Bah nous on dit non : parce qu'on existe et qu'on vit dans un pays où il y a des richesses, il faut mieux les partager pour que chacune et chacun ait de quoi vivre au dessus du seuil de pauvreté. Je ne supporte pas que nos concitoyens se privent eux et leurs enfants d'avoir une chambre chauffée le soir. Donc on va faire cette conquête sociale, et au passage on va réhabiliter l'Europe, car si la France est notre maison, l'Europe est notre village.

R. L. : Vous dites nous, vous dites on, malgré tout il y a eu de nombreuses voix qui ont voté contre ou se sont abstenues lors du vote de cette résolution. Comment l'expliquer ?

M. S. : parce qu'il y a des gens qui n'aiment ni l'Europe, encore moins l'Europe sociale, et qui n'aiment pas le progrès social. Vous savez je viens des quartiers populaires, et j'ai vécu ce qu'est la misère. Tout ce qu'on peut prendre on prend. Tout ce qui m'importe, c'est qu'on a trouvé une majorité pour adopter cette résolution, et qu'on a même trouvé une majorité pour voter ce passage qui appelle à une directive. Dans moins de deux semaines, le commissaire Schmidt va venir parler à la Commission emploi et affaires sociales (EMPL). Vous pensez bien qu'on va lui rappeler que la résolution a été votée et que la directive doit venir, et que ça doit arriver le plus vite dans l'agenda. On va tout faire pour démarrer. Il faut que le progrès social soit garanti par cette Union européenne qui rassemble 27 Etats riches. Nous sommes le premier marché au monde, il y a des richesses, en les partageant mieux on peut tous vivre dignement.

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