Parlement européen - Session Plénière

Plénière à Strasbourg : Mathilde Androuët - l'Iran, la contestation sociale et la condition féminine

Plénière à Strasbourg : Mathilde Androuët - l'Iran, la contestation sociale et la condition féminine

Du 16 au 19 janvier, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.

Il reçoit des députés en direct sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement entre 18h et 18h30 pour faire le point sur les débats en cours. Mercredi 19 janvier Romain L'Hostis recevait l'euro-députée française Mathilde Androuët du groupe Identité et Démocratie, membre de la Commission de l'environnement, de la santé publique, et de la sécurité alimentaire (ENVI). 

Aujourd'hui nous allons parler expression artistique et actualité politique violente en Iran. [...] Mathilde Androuët vous avez invité au sein du Parlement européen une artiste iranienne, Vanecha Roudbaraki. Pour présenter une exposition "femme, vie, liberté. Le corps de la femme comme outil de lutte." Une exposition artistique qui fait écho au mouvement de contestation sociale en cours en Iran depuis plusieurs mois. En septembre dernier, une jeune femme iranienne Mahsa Amini avait été arrêtée par la police des moeurs, et pour un port du voile pas assez couvrant. Décédée des suites de cette arrestation, l'événement avait provoqué une révolte contre le régime des mollahs, et qui continue encore aujourd'hui, malgré une répression sanglante. Mathilde Androuët quand vous lisez ces faits, comment vous réagissez ?

Evidemment, la première réaction est une indignation. Pour nous Européens, c'est absurde qu'un vêtement puisse causer la mort, puisque c'est vraiment cela. En même temps cela met en lumière tout le vice des procédés de ce genre de régime très brutalisant. Pourquoi aussi j'ai voulu cette exposition ? parce que je trouve que le rapport au corps de la femme est un curseur qui prend très bien la mesure des libertés individuelles. Quand un régime totalitaire s'installe il essaye de briser l'art, et il essaye de briser les corps. La logique du totalitarisme islamiste c'est de briser le corps de la femme. L'exemple iranien était vraiment très frappant à cet égard. Et le fait que la jeunesse iranienne se réveille comme ça.. ce n'est pas du tout la première lutte concernant ce sujet du voile, ou celui de la révolte de la jeunesse iranienne. Mais cette fois-ci on sent que c'est plus profond. Certes le visage de Mahsa Amini est connu dans le monde entier, ce visage qui a disparu est toujours remplacé par un autre visage. Ce qui est frappant c'est aussi l'extrême jeunesse en plus de ces mouvements, ce sont quasiment des enfants même parfois qui sont pris et emportés par la police. En plus, il y a une révolte irrévérencieuse à l'égard de ces gardiens, l'autorité morale des dogmes, qui se font déshabiller dans la rue, qui se font décoiffer. Quelque chose propre un peu à cette jeunesse, un peu bravache..

On peut y retrouver un parallèle avec la jeunesse algérienne qui s'est fait une spécialité d'utiliser l'humour dans la rue comme outil de lutte politique ?

C'est un mélange des deux, car c'est de l'humour et en même temps c'est d'une extrême gravité. Ce mélange des genres, c'est là aussi tout le drame. C'est peut-être un peu Européen aussi. C'est aussi un peu l'esprit Charlie. On rigole, et en même temps on perd la vie parce qu'on rigole. C'est donc très douloureux, et propre à la jeunesse. C'est un mouvement plein de vie, alors qu'il est lourd de mort.

L'impression que j'ai eu aussi, ce mélange des registres.. des peintures pour lutter contre le régime des mollahs ?

Là aussi, ce ne sont pas des peintures sorties de nulle part. C'est une artiste iranienne qui a du fuir le régime des mollahs quand elle était plus jeune. Qui est une exilée, qui porte cet exil en elle. C'est une femme qui est très engagée pour la lutte des droits des femmes, très attachée aussi à la défense de la création artistique aussi bien en Iran qu'en France. Toute son histoire nourrit sa peinture, son art. Et en même temps, je trouve, elle a un message politique fort. C'était cohérent, ce n'était pas juste un plaisir intellectuel. C'est réellement un acte militant. Je trouvais cela très intéressant de montrer son travail et sa lutte au quotidien à travers sa peinture, mais aussi l'animation de réseaux d'artistes. Un travail de petits pas, mais de résistance. Car l'art c'est aussi un acte de liberté pure. Et c'est la raison pour laquelle l'islamisme s'attaque aux artistes et à l'art en général.

L'art qui est une composante essentielle de la démocratie selon vous ?

Je pense que oui, cela fait partie des éléments de mesure. Quand vous laissez la créativité des gens, finalement vous êtes sûrs de votre peuple en démocratie. C'est un excellent curseur des mesures de liberté.

Héberger cette exposition au sein du cœur de la démocratie européenne est un symbole fort. Est-ce que vous pensez que cela peut servir à mobiliser encore plus sur cette question de l'Iran ?

Je pense que oui, c'est important de leur montrer à voir que la lutte peut prendre plusieurs visages. Mais c'était aussi l'occasion de rappeler à l'Europe, dans ses locaux, que nous sommes nous aussi aux prises avec des questions sur le voile notamment, au sein même de cette institution, il y a eu de nombreux débats sur est-ce que la Commission peut financer des campagnes dans lesquelles apparaissent des femmes en hijab, qui est plus qu'un vêtement. Et rappeler l'histoire de l'Iran, car entre 1978 - au début des révoltes - et 1979 - l'installation du régime des ayatollahs - il n'y a eu qu'une seule petite année. Dans un pays et un peuple très érudit, multimillénaire, où les femmes étaient assez libres. Et où le voile n'avait juste été utilisé jusqu'ici comme outil politique, pour montrer son désaccord avec la royauté. En 1979 ils ont imposé ce voile. Et les femmes se sont retrouvées piégées, c'est devenu l'une des premières dispositions qui s'attaquent aux femmes. Par ce voile.

C'est donc une forme d'instrumentalisation ?

Exactement. Et donc les accommodements européens avec des revendications communautaires, me semblent être périlleuses. Je voulais donc faire une mise en garde. Leur dire qu'en une seule année un peuple cultivé et érudit, un peu comme la civilisation européenne, s'est retrouvé piégé. Ce n'est pas anodin. Ce n'est pas un vêtement ou une logique anodine. Si les islamistes s'y accrochent en permanence c'est qu'il y a une bonne raison.

La même chose pourrait-elle arriver aux femmes en Europe ?

Oui. Votre corps est un outil de liberté. Il est à vous, il vous appartient. Et le fait d'éliminer la visibilité d'un des sexes dans l'espace public est problématique, selon moi. Ce qui est imposé aux femmes ne l'est jamais pour les hommes, et c'est anormal. Je pense qu'en effet, cette promotion du hijab ou des accommodements locaux comme des créneaux réservés dans les piscines, cette ségrégation du sexe féminin et du sexe masculin est à mon avis très périlleuse, et est toujours montée contre les femmes.

Art et politique sont donc très liés l'un et l'autre. Souvent chargé d'émotion. On se souvient en octobre dernier au Parlement européen, une eurodéputée suédoise s'était coupée les cheveux en soutien aux femmes iraniennes. Plus récemment, l'UE discute d'une nouvelle résolution à voter en réaction à un nouveau stade de violence franchit en Iran. Ce sont les nombreuses condamnations à mort contre des manifestations qui ont participé à ce mouvement social. Une forme d'assassinat politique. Que pensez-vous de ces débats au Parlement européen ? Y a-t-il un consensus ?

Oui, je pense que ça fait consensus. Face à un régime meurtrier, le fait qu'il va être condamné, c'est plutôt positif de s'apercevoir qu'il y a quand même un bloc européen sur cette question là. J'ignore ensuite les conséquences réelles dans le quotidien des Iraniens, mais c'est l'avantage aussi de leur donner de nouvelles forces. Souvent ce genre de résolution donne un regain de confiance et d'espoir à toute une population en résistance. Leur quotidien est évidemment très compliqué.

On est encore dans le registre du symbolique ? En parallèle l'UE réfléchit à un nouveau train de sanctions je crois.

Oui c'est plutôt cela qui fera bouger les choses. La question de la liberté est toujours contrebalancée par la crise économique et sociale en ce moment en Iran. Ce sont les mesures en pratique les plus terribles. Sur place, la sorte de neutralité de plus en plus grande de la police est très intéressante, qui ne veulent plus s'en prendre à cette jeunesse iranienne. Je pense qu'en effet ces sanctions peuvent encore appuyer un peu plus sur la tête des mollahs finalement, et faire chavirer un pouvoir qui aura de moins en moins de pris aussi bien sur le domaine économique et politique.

Un autre débat en cours, certains eurodéputés demandent que le corps des gardiens de la révolution islamique en Iran soit classé parmi les organisations terroristes. Pensez-vous que cela peut faire avancer la cause ?

C'est symbolique. Car même si ces gens là nous mettent dans un Occident décadent, cette condamnation constitue une mise au banc supplémentaire. Et un pays ne peut pas vivre totalement isolé du reste du monde. [...] Le fait que le slogan "femme, vie, liberté" soit reprise partout dans le monde fait partie de ces éléments qui montrent que ce mouvement de contestation a besoin d'être soutenu. Pour le moment on reste sur le domaine purement politique et la gestion du quotidien avec l'Iran.

C'est donc une lutte pour la visibilité, pour ne pas disparaître de l'attention de la Communauté internationale.

Oui. Et c'est très important.

[...]

En tout cas, je vous dis un grand merci pour vos explications Mathilde Androuët.