Parlement européen - Session plénière

Plénière au Parlement : Michèle Rivasi - Zones d'ombres entre la Commission européenne et Pfizer

Plénière au Parlement : Michèle Rivasi - Zones d'ombres entre la Commission européenne et Pfizer

Du 13 au 16 février, Romain L'Hostis a suivi la session plénière du Parlement européen à Strasbourg qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union.

Il reçoit des députés en direct sur le plateau d'euradio au cœur du Parlement entre 18h et 18h30 pour faire le point sur les débats en cours. Mardi 14 février Romain L'Hostis recevait l'euro-députée française Michèle Rivasi du groupe des Verts, membre de la Commission spéciale sur la pandémie de Covid-19, les leçons tirées et recommandations pour l'avenir (COVI). 

Romain L'Hostis : Alors ici, il n’est pas vraiment question de leçons à tirer d’un passé achevé, mais bien au contraire d’une page qu’on peine à tourner, d’un événement qu’on a du mal à comprendre : c’est cette affaire des contrats passés entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques, Pfizer notamment, pour acheter des doses de vaccins dans le cadre de la pandémie de coronavirus. Pour y voir un peu plus clair, on va essayer de reprendre les choses dans l’ordre. La Commission européenne a passé jusqu’ici 3 contrats avec les laboratoires Pfizer et BioNTech, le dernier en date a été conclu en mai 2021 : il passe commande de 1,8 milliard de doses de vaccins, pour un prix de 35 milliards d’euros. Des doses qui sont livrées progressivement jusqu’à la fin de cette année 2023. 1,8 milliard de doses rien que pour le 3e contrat, c’est 4 fois plus que la population européenne. Comment expliquer cet écart si grand ?

Michèle Rivasi : C’est une bonne question. On se la pose aussi. Mais moi je reviendrais un peu plus en arrière. Quand la pandémie a éclaté, décembre 2019-janvier 2020, la Commission était à cran, et elle a donc décidé par des clauses d’urgences de contacter directement les laboratoires avec l’aval des Etats-membres, mais en excluant le Parlement européen. On a été exclus par cette problématique de situation d’urgence. En tout, il y a eu 9 contrats de passés. Ce qu’on appelle des APA - Accords de pré-achat, où on donnait de l’argent aux labos en disant “il faut absolument que vous nous sortiez un vaccin. On vous donne de l’argent, mettez-le dans la R&D”. On a donné 700 millions d’euros à Pfizer, 300 millions d’euros à Sanofi, 300 environ à Curvac etc. C’était des données confidentielles, on l’a su bien après. Une fois ces contrats passés, le Parlement ré-intervient et en plénière, moi j’interviens pour leur demander l’accès aux contrats. Pourquoi ? pour 1) savoir combien d’argent a été donné, 2) quelle est la traçabilité de cet argent 3) vous avez négocié ces contrats à combien 4) et les clauses de responsabilités en cas d’effet secondaire, qui les prend ? Là dessus, aucune réponse. Vous voyez, on leur a donné de l’argent public. Mais là dessus, les Etats étaient au courant, mais pas le Parlement européen. Donc on a posé ces questions sur l’accès à ces contrats, on avait toujours le non de la Commission européenne.

R. L. : Depuis 2021 ?

M. R. : Depuis 2021. Après, on les a menacé, et 5 députés Verts ont saisi la CJUE pour avoir accès à ces contrats, en disant c’est un intérêt public majeur. [...] Comment est-il possible qu’il y ait eu tout cet argent donné aux labos ?

R. L. : Récemment l’agence de presse Reuters a dit que la Commission - sous pression des Etats-membres qui préfèrent réorienter l’argent vers la gestion de la crise énergétique et/ou la guerre en Ukraine - serait en négociations secrètes encore avec ces labos pour réduire la facture à la baisse, ou plutôt réduire le nombre. Finalement les prix semblent très manipulables, on n’y comprend pas grand chose.

M. R. : Bon. 3e contrat qu’a passé la Commission européenne avec Pfizer. C’est le contrat le plus important : 1,8 milliard de doses. On est en mai 2021. Là dessus, le prix on ne le connaît pas, mais on l’apprend ensuite. Autour de 19 euros la dose. Pourquoi 1,8 milliard de doses alors ? Et viennent alors les SMS que le New York Times, journal américain, a été au courant que la présidente de la Commission européenne a passé directement des SMS avec le directeur général de Pfizer, Monsieur Albert Bourlat.

R. L. : Nous étions en avril 2021. Le contrat n’avait pas encore été formellement adopté.

M. R. : Exactement. Le journaliste demande l’accès à ces SMS. Comment se fait-il qu’il y ait ces SMS directement entre la présidente de la Commission et le directeur de Pfizer ? La Commission répond alors que les SMS ne sont pas des documents officiels, et refuse. Donc le journaliste saisit la Médiatrice européenne, qui dit “les SMS sont des documents officiels au même titre que les mails, que les fax, que tout document écrit”.

R. L. : La Médiatrice dont le rôle est d’enquêter sur les cas de mauvaise administration.

M. R. : Exactement. Elle fait son enquête, et conclut que la Commission européenne ne joue pas le jeu, pour avoir accès aux documents. A la fin, la Commission répond “on ne trouve plus les SMS”. Donc moi je les interpelle en disant : “vous ne trouvez plus les SMS ? N’importe quel criminel, voleur, ou quelqu’un qui a un portable… les opérateurs ont la mémoire sur les SMS envoyés… Et vous à une demande, vous ne trouvez pas les SMS ? Mais de qui vous moquez-vous ?” 1er acte. La Médiatrice. Après, la Cour des Comptes européennes a fait une enquête.

R. L. : En 2022 ?

M. R. : Oui. Elle a regardé. On lui a donné tous les documents des contrats, sauf pour le 3e. Il n’y a pas de documents de pré-négociation. Car, avant de négocier un contrat, et de le signer, il y a un groupe d’experts qui évalue le nombre de doses, si le vaccin est conforme, qui évalue les délais de livraison. Et surtout le prix. Alors là, la Cour des Comptes européenne dit “je n’ai pas eu accès au contrat de pré-négociation”. Donc cela confirme bien que la négociation s’est faite directement avec les têtes : Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Albert Bourlat.

R. L. : Que dit le droit européen vis-à-vis de cela ? Est-ce interdit ?

M. R. : C’est hors-contrat. C’est anti-Traités. Une présidente de Commission n’a pas à négocier directement pour une somme pareille, 35 milliards d’euros quand même. Ce sont des sommes colossales. Ce n’est pas à une présidente, même si elle est géniale, de faire des négociations directement. Il y a toute une approche normalement, une démarche. Entre temps, il y a eu une commission spéciale parlementaire “Covid”. Donc on a demandé officiellement à la Commission “expliquez-vous sur ces SMS. Pourquoi ne trouve-t-on pas les contrats de pré-négociation ? La Commission a répondu “on ne sait pas”. Quel est le prix que vous avez négocié ? Réponse : on ne sait pas.”. Ensuite, on a des informations comme quoi Pfizer fait pression sur les Etats-membres pour leur dire vous êtes obligés d’acheter 500 millions de doses. 

R. L. : Au lieu d’1,8 milliard ?

M. R. : Alors, déjà la Commission avait négocié car les Polonais refusaient d’acheter des doses. Car, dans le contrat qu’on a toujours pas, on sait qu’il y a une clause qui dit - et c’est Pfizer qui l’avait indiqué - que les 1,8 milliard se séparent en 900 millions.

R. L. : Donc la moitié.

M. R. : Oui, 900 millions qui sont obligatoirement achetés, et puis 900 millions qui sont optionnels. Mais la 1ere moitié, les Etats sont obligés de l’acheter. Et les Polonais on leur dit donc “vous en avez pour un peu plus d’un milliard d’euros. Mais les Polonais n’étant plus en urgence sanitaire, ils répondent qu’ils préféreraient donner cet argent aux Ukrainiens qu’ils sont obligés de recevoir par rapport à la guerre en Ukraine. Les pays Baltes commencent à dire la même chose. La Commission prend alors l’initiative de réunir les Etats-membres avec Pfizer pour dire surtout “ne nous mettez pas la pression, et étaler les doses”. Ce qu’a accepté Pfizer, qui a étalé les doses jusqu’en 2023. Mais, il reste 500 millions de doses, pour l’instant, avec en plus tous les stocks de doses qui sont périmés dans les Etats.

R. L. : Vous avez interpellé la Commission européenne à ce sujet. A quoi a-t-on affaire là ? de quelle taille sont ces stocks de doses périmées ? 

M. R. : J’ai posé une question écrite pour avoir le chiffre exact. Ce que je sais c’est qu’en Italie il y a 30 millions de doses périmées. Mais en France c’est pareil. [...] Les Italiens doivent acheter encore 120 millions de doses. Ils n’ont pas la nécessité d’acheter toutes ces doses. Il y a alors eu des négociations secrètes entre la Commission et Pfizer. On a ensuite appris que Pfizer a menacé la Commission de les poursuivre en justice, si les doses ne sont pas achetées.

R. L. : C’est pour cela qu’il y a des négociations secrètes pour trouver un compromis, c’est d’augmenter le prix de la dose ?

M. R. : Exactement. On a convoqué à la Commission parlementaire COVID la Commissaire européenne Kyriakides pour lui demander quel est le compromis ? Ils vont moins nous vendre de doses, mais plus cher. Ils parlent même de 120 dollars la dose. Au lieu de 19 euros. Donc ce sont des crapules. Alors tout le monde dit que la Commission est super, que Pfizer nous a trouvé un super vaccin. Un super vaccin qui nous protège 3 mois ? qui transmet le virus ? oui, il a pu faire en sorte à ce qu’il y ait moins de morts, mais c’est un drôle de vaccin quand même.

R. L. : Alors maintenant, cette semaine lundi 13 février, le New York Times a lui aussi saisi la Cour de Justice de l’UE, est-ce que cette nouvelle affaire va faire avancer les choses ? ce n’est pas la première procédure judiciaire, vous nous en avez déjà cité plusieurs lors de cet entretien. Etes-vous plus optimiste ?

M. R. : Ecoutez, ça tombe à pic. Puisque nous, on a essayé de faire tout ce qu’on pouvait, on a saisi toutes les institutions qui nous ont donné gain de cause. Le Parlement a même interdit l’accès à Pfizer. On a interdit l’accès à Pfizer. On a convoqué Ursula von der Leyen pour qu’elle vienne s’expliquer sur les SMS. A mon avis, elle ne veut pas venir, ce qui est une erreur monumentale. Alors, maintenant ça vient de l’extérieur, ils saisissent la CJUE pour avoir accès à ces SMS. Donc vous voyez dans quelle situation on est : aucune transparence, la Commission fonctionne toute seule avec les Etats-membres, le Parlement européen est mis à l’écart. Et après le Parlement doit contrôler l’exécutif ? mais comment fait-on dans ces conditions ? 

R. L. : Vous pensez qu’Ursula von der Leyen va accepter de partager ces SMS ?

M. R. : Si la CJUE demande à avoir accès, soit elle a les SMS, soit elle explique ce qu’il y avait dedans. Il faut qu’elle donne une explication. La Cour des Comptes n’a pas pu l’obtenir. La CJUE va donc dire qu’il y a un disfonctionnement des Traités : vous ne pouvez fonctionner tout seuls, vous la Commission, sans rendre des comptes ! c’est quand même de l’argent public ? Vous outrepassez toutes les règles du jeu qui ont été établies. Je vous assure que moi en tant que députée, je suis outrée par ce fonctionnement. Alors, après on parle du Qatargate ça les arrange bien. Car c’est un problème au niveau du Parlement européen.

R. L. : Les institutions européennes dans leur ensemble pourraient-elles aussi être arrangées par cela ? Car le Parlement européen vient de demander la création d’un organisme d’éthique indépendant qui contrôlerait la transparence du Parlement européen, mais pas que ! également les autres institutions.

M. R. : Je sors justement de plénière, parce qu’on demande un comité d’éthique transparent, interinstitutionnel, qui va à la fois contrôler le Parlement, la Commission, même le Conseil, les Agences, les conflits d’intérêts etc. et puis qu’il y ait les déclarations de patrimoine, voire s’il n’y a pas un enrichissement personnel, demander des comptes à des députés qui travaillent pour des boîtes industrielles, et qui font en même temps des rapports sur ces mêmes entreprises. Donc on a besoin de cette organisme d’éthique pour la transparence.

R. L. : Il promet d’être utile selon vous ?

M. R. : J’espère bien. Sinon on ne se battrait pas. On veut qu’il soit transparent, mais on veut surtout qu’il y ait un budget, un staff avec des membres compétents. Et qu’ils ne soient ni députés, ni fonctionnaires, car après c’est un conflit d’intérêt au sein de l’institution. Et qu’il puisse être contraignant, qu’il puisse prendre des sanctions, et qu’il donne la transparence de tous les dossiers. [...] C’est un problème de confiance. Je ne vois pas comment nos citoyens peuvent avoir confiance dans nos institutions européennes, si celles ci ne sont pas transparentes à tous les niveaux. Si le Parlement ne peut pas contrôler la Commission, parce qu’on lui refuse des documents. Alors cela signifie que les Traités sont bafoués. On a donc besoin de la justice européenne qui remettra en ordre le fonctionnement de la Commission, de sa présidente. La présidente de la Commission nous doit des comptes. Si elle ne vient pas à la commission parlementaire pour s’expliquer, de toute façon elle aura la justice sur le dos. Moi, en tant que Vert, en tant qu’écolo qui a dû gérer la pandémie, je ne voudrais pas que cela se reproduise. Il y a eu trop d’opacité, de dysfonctionnement. Vous voyez, il y a une doxa. C’est bien qu’il y ait un vaccin, mais dans les conditions où cela a été négocié, qu’on nous force à acheter des doses dont on n’a plus besoin, qu’on oblige les gamins à se faire vacciner, alors qu’on ne voit pas le bénéfice que ça aurait par rapport aux risques… Enfin, je crois beaucoup aux institutions européennes mais maintenant il faut renforcer ces organismes de contrôle, il faut renforcer la transparence, et que le Parlement joue son rôle de contrôler l’exécutif.