La guerre des étoiles

La Chine est-elle la première puissance spatiale au monde ?

© ESA La Chine est-elle la première puissance spatiale au monde ?
© ESA

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

On se retrouve aujourd’hui pour répondre à une question intrigante : la Chine est-elle la première puissance spatiale au monde ?

La question se pose effectivement, les Etats-Unis ne dominent plus la course à l’espace. Et on l’a vu avec l’ISS ou le programme Artémis, ils se désengagent même de ce qui leur assurait une position dominante. Les entreprises du new space américain, comme Space X, Blue Origin ou Relativity Space, restent ultra innovantes, mais le secteur spatial chinois a de moins en moins à leur envier. Et surtout, là où l’administration Trump coupe le budget de la NASA et communique sporadiquement sur des projets martiens ou autres plus ou moins flous ; la Chine, par le biais de son agence spatiale, la CNSA, a des ambitions affichées très claires et progresse très rapidement.

Quelles sont les ambitions de la Chine pour arriver au sommet de la conquête de l’espace ?

La CNSA a bénéficié de gros budgets du gouvernement chinois ces dernières années, et progressivement, depuis environ deux ans, des entreprises privées émergent avec des technologies prêtes ou à un stade de développement avancé, et attirent également des investissements publics et privés. Et ce sont beaucoup d’anciens de la CNSA qui fondent ces start-ups, et donc qui ont le réseau pour obtenir des contrats, débaucher des ingénieurs, et connaissent les architectures des lanceurs publics, notamment la Long March, un lanceur lourd dont les variantes 9 et 10 sont en cours de développement, respectivement pour les programmes martiens et lunaires chinois.

Faut-il comprendre que la Chine prévoit d’aller sur Mars ET la Lune prochainement?

Absolument, c’est ça les ambitions de la Chine : aller plus loin que les Américains, plus vite, et en innovant de leur côté. La Chine a aussi construit sa propre station spatiale, Tiangong, qui concurrence l’ISS et sera probablement dans quelques années la seule station spatiale publique en orbite terrestre.

Mais cette station n’est pas internationale comme l’ISS ?

Si, elle n’accueille pas d’astronautes européens ou américains pour l’instant, mais elle n’est pas réservée exclusivement aux Taïkonautes. Des astronautes européens s’étaient entraînés il y a quelques années en Chine en vue d’effectuer des missions sur Tiangong. En février la Chine a signé avec le Pakistan un accord pour entraîner des astronautes pakistanais et les inclure aux missions sur Tiangong. Et de manière générale, la Chine collabore avec Roscosmos, l’agence russe, sur certains programmes spatiaux, et est ouverte à la collaboration avec d’autres agences, dont l’ESA ou le CNES français, qui a déjà collaboré avec la CNSA. Tiangong c’est une réalité chinoise et scientifique, une machine à battre les records américains de longévité de séjours dans l’espace et de sortie extravéhiculaire, et c’est un outil de plus dans l’arsenal anti-américain chinois, mais aussi dans son développement comme superpuissance mondiale.

Vous nous disiez que les Américains se détournaient de la Lune et du programme Artémis pour s’intéresser aux ambitions martiennes d’Elon Musk, est-ce là que la confrontation va avoir lieu ?

C’est difficile d’en être sûr. Parce qu’Elon Musk a créé Space X avec l’ambition d’emmener des humains sur la Lune, mais que pour l’instant, on est très loin des technologies qui le permettent. Et les missions d’exploration de la NASA et de l’ESA sur Mars, avec des rovers emblématiques comme Curiosity ou Perseverance et le petit hélicoptère Ingenuity qui ont permis des découvertes remarquables, ces missions sont un peu à l’arrêt, parce que les échantillons collectés devaient être rapportés pour être examinés sur Terre avec la mission Mars Sample Return, sauf que comme pour Artémis, la NASA se désengage du projet. Et l’ESA étudie des possibilités de ramener ces échantillons seule, ou pourrait répondre à l’appel de la Chine à collaborer pour sa mission de retour d’échantillons martiens qui devrait être lancée en 2028. En tout cas, avec ou sans l’ESA, la Chine compte mener les missions martiennes Tianwen et ramener des échantillons sur Terre. Et comme pour ceux ramenés de la Lune, les Américains seront verts de jalousie et les Européens seront bien contents d’entretenir des relations cordiales avec la CNSA.

Et bien évidemment, le climat géopolitique actuel participe de cette logique où l’Europe crée de nouvelles alliances quand les Etats-Unis s’en détournent.

Vous avez dit ‘les missions martiennes’, la Chine ne compte pas s’arrêter à une ?

Non, la CNSA prévoit trois missions Tianwen, deux en lien avec Mars. La première a eu lieu en 2021, où la Chine a réussi à poser le rover Zhurong sur Mars. Tianwen-3, prévue pour 2028, est la mission de retour d’échantillons. Et Tianwen-2 devrait être lancée très prochainement, dans les jours ou semaines à venir, et a pour but de se poser sur un astéroïde qui est quasiment un satellite naturel de la Terre tant il est proche de nous, pour y collecter des échantillons et les ramener. Une phase d’entraînement pour Tianwen-3, et un pied de nez supplémentaire à la mission Osiris-Rex de la NASA, qui a ramené des échantillons d’un autre astéroïde en 2023.

La Chine a donc de nombreux programmes simultanés qui s’annoncent fructueux, est-ce que cela suffit à en faire la première puissance spatiale au monde ?

Si la mission Tianwen-3 est un succès, alors oui. Si l’ISS n’est pas remplacée par une option viable pour les Occidentaux, oui aussi. Et à l’instar de son économie ou de son influence politique, la Chine rattrape extrêmement rapidement les entreprises américaines grâce à sa base industrielle et technologique –la BIT– qui est très développée maintenant. On faisait le parallèle il n’y a pas longtemps entre les technologies de missiles et de fusées, et là la Chine est actuellement en train de développer un arsenal de lanceurs orbitaux qui démontre l’étendue du capacitaire chinois, en termes d’exploration spatiale et donc aussi militaire.

Faudrait-il s’en inquiéter ?

Oui à plein d’égards. Déjà la vitesse de développement des acteurs privés pourrait faire rougir les start-ups européennes. Plusieurs fusées réutilisables qui concurrencent Space X sont en phase d’assemblage en Chine ; la multiplication des acteurs sur un même marché, comme aux Etats-Unis, est peu gênante contrairement à en Europe, vu la multiplication des ambitions chinoises en orbite, que ce soit pour déployer leurs propres constellations de satellites de communication et de renseignement, ou d’observer et explorer notre système solaire. Et ça montre une capacité d’adaptation et de développement de la BIT chinoise qui devrait inquiéter Taiwan, les Etats-Unis, et les voisins de la Chine en Asie du Sud-Est.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.