Chine - Europe : entre tensions et perspectives

Acier chinois : les défis pour l’industrie européenne

© Photo de Zalfa Imani sur Unsplash Acier chinois : les défis pour l’industrie européenne
© Photo de Zalfa Imani sur Unsplash

Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.
Elisa, vous allez nous parler aujourd'hui des exportations d’acier chinois vers l’Europe. La surcapacité de production d'acier en Chine a des répercussions considérables sur le marché mondial, et notamment sur l'Union européenne.

Donc quelles sont les causes et les conséquences de la surcapacité de production d'acier en Chine ?

La Chine est le premier producteur mondial d'acier, représentant environ 55% de la production mondiale en 2023. En raison d'une baisse de la demande intérieure, notamment due à la crise du secteur immobilier, la Chine se retrouve avec une surcapacité de production estimée à 400 millions de tonnes, soit plus du double de la demande totale du marché européen de 155 millions de tonnes.

Pour écouler cette surproduction, la Chine a commencé à exporter massivement son acier à des prix inférieurs aux coûts de production.

Quel est donc l’impact en Europe ?

L'afflux d'acier chinois à bas coût exerce une pression énorme sur les producteurs européens, qui doivent faire face à des coûts de production plus élevés, notamment en raison de normes environnementales strictes et de coûts énergétiques plus importants. Cette concurrence déloyale a conduit à la fermeture de plusieurs sites de production en Europe, entraînant des pertes d'emplois significatives.

Et est-ce que l’acier joue un rôle dans la stratégie géopolitique chinoise ?

L’acier n’est pas seulement un produit industriel : pour la Chine, il constitue un outil géopolitique. Depuis les années 2010, Pékin exploite sa surcapacité sidérurgique pour influencer les relations commerciales mondiales. En inondant les marchés, notamment européens, elle renforce sa présence économique, crée une forme de dépendance stratégique et affaiblit les industries locales.

Cette stratégie s’inscrit dans une politique plus large, illustrée par les Nouvelles routes de la soie, où la sidérurgie joue un rôle clé dans la construction d'infrastructures servant l’expansion de son influence.

Cette domination sur le marché européen fait peser un risque de sécurité économique : en cas de tensions diplomatiques, Pékin peut utiliser ses exportations comme levier, tandis que la dépendance accrue de l’UE réduit sa capacité à négocier sans subir de pressions. Si d’autres marchés comme les États-Unis se ferment, l’Europe pourrait devenir le principal débouché des surplus chinois.

Comment l’Europe réagit à cette surproduction qui arrive sur le marché intérieur ?

L’Union européenne a réagi tardivement et de manière fragmentée face au dumping chinois dans le secteur de l’acier. Depuis 2016, les mesures antidumping ont été affaiblies par des divisions internes : les pays de l’Est craignent de perdre l’accès à de l’acier bon marché, tandis que l’Allemagne hésite entre défendre sa sidérurgie et préserver ses exportations vers la Chine.

Cette faiblesse stratégique menace la souveraineté industrielle de l’UE, notamment dans la transition énergétique, très dépendante de l’acier. Ce n’est qu’après l’annonce de nouveaux droits de douane américains que Bruxelles a envisagé de limiter les importations chinoises.

Quels leviers l’Union européenne peut-elle mobiliser pour renforcer sa souveraineté industrielle face aux pressions exercées par la Chine dans le secteur de l’acier ?

Bien que moins frappante qu’une guerre commerciale directe, comme celle opposant les États-Unis à la Chine, la stratégie chinoise dans le secteur de l’acier crée un climat d’instabilité qui affaiblit le projet de souveraineté industrielle de l’Union européenne.

Pour relever ces défis, l’UE devrait adopter une approche plus proactive et coordonnée. Cela passe par un renforcement des mesures antidumping, un soutien accru à l’innovation et une réduction de sa dépendance aux importations chinoises. Parallèlement, l’Union devrait intensifier ses efforts diplomatiques pour résoudre les différends commerciaux avec Pékin et promouvoir des règles de concurrence équitables.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.