La guerre des étoiles

Les débris orbitaux

Pixabay Les débris orbitaux
Pixabay

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Vous allez nous parler aujourd’hui de la menace qui pèse sur nous depuis l’orbite terrestre, nos propres détritus.

Oui, la surabondance de nos déchets n’est pas un problème limité au sol de notre planète. Il y a dans notre orbite terrestre environ 200 millions de débris de plus d’un millimètre, la taille à partir de laquelle une collision avec un satellite ou une station opérationnel serait dommageable. Par exemple, l’ISS pourrait être perforée par un impact avec un fragment d’un centimètre, et doit régulièrement manœuvrer pour éviter des collisions avec des détritus de l’espace.

D’où viennent tous ces débris orbitaux et pourquoi les laisser là ?

Les débris viennent des fusées qui ont placé des charges utiles en orbite, et des charges utiles elles-mêmes. Quand une fusée place des satellites ou envoie une sonde, même dans le cas des fusées réutilisables, la totalité de la fusée ne revient pas sur terre. Les parties de la fusée qui restent dans l’espace orbitent un peu autour de la Terre, avant d’être attirées par la gravité terrestre et viennent se désintégrer dans l’atmosphère terrestre. Un processus extrêmement polluant d’ailleurs, puisqu’il relâche dans notre stratosphère de l’aluminium. Pour les satellites qui restent en orbite, ils servent pendant quelques années, voire quelques décennies, puis sont à court de carburant, leurs systèmes tombent en panne, bref ils ne sont plus opérationnels, et il faut les dé-orbiter. Pour ça il y a trois options : les éloigner de la Terre dans l’espace lointain, ce qui consommerait beaucoup de carburant et n’est jamais fait ; les pousser vers la Terre pour qu’ils se désintègrent dans notre atmosphère ; ou les laisser là en attendant que la gravité les attire vers la Terre. Vous vous en doutez, utiliser un carburant limité et précieux pour faire le ménage n’est pas la solution privilégiée, et c’est comme ça que notre orbite terrestre est devenue un véritable cimetière à satellite, une poubelle de l’espace.

Et quel danger représentent ces satellites qui ne sont plus opérationnels ? On est loin de débris de quelques millimètres…

Le problème, c’est qu’un satellite qui n’est plus opéré n’est plus utile, donc ses opérateurs ne s’en préoccupent plus. Dans le cas de missions institutionnelles de l’ESA ou de la NASA, les satellites sont dé-orbités, mais les constellations commerciales comme celles de Space X ou OneWeb d’Eutelsat ont avant tout un objectif économique, elles cherchent à dégager un profit, et ne se préoccupent pas des satellites en panne ou en fin de vie parce que ces constellations ont des centaines, voire des milliers, à terme, de satellites. Et ces satellites ne restent pas intacts, ils se percutent, se fragmentent, et tout ce cycle continue, auquel vient constamment s’ajouter de nouveaux lancements, notamment de Space X, qui mise sur la quantité plutôt que la qualité.

Le danger est d’une part environnemental, comme je le disais la désintégration dans notre atmosphère relâche de l’aluminium et crée ces microparticules si désastreuses pour la couche d’ozone. D’autre part, chaque débris ajoute au risque de devoir faire face au syndrome de Kessler. C’est un scénario qui a été modélisé en 1978, qui prévoit que plus le nombre de débris se percutant est grand, plus on risque une réaction en chaîne où tous les objets en orbite se percutent, se détruisent, et créeraient autour de notre planète une espèce de carapace de débris qui nous bloquerait l’accès à l’espace.

Le danger est donc de ne plus pouvoir accéder à l’espace ?

C’est la partie la moins grave, pour être honnête. La gravité ferait le nettoyage au bout de plusieurs années, et les débris seraient désintégrés en vingt ans, environ. Mais à partir du moment où l’on a plus ces satellites opérationnels en orbite, sur Terre, on a plus de communications, plus de moyen d’observer la Terre pour apporter des preuves scientifiques au changement climatique, à la surveillance des feux de forêts, des inondations, de la déforestation, de la fonte des glaciers et banquises, plus de renseignements pour les armées… C’est là qu’est le danger, nous serions collectivement isolés et vulnérables.

Nous serions aussi encore plus vulnérables aux astéroïdes géocroiseurs. Ce sont ces astéroïdes qui croisent la Terre, voire la percutent. On connaît tous l’histoire des dinosaures annihilés par un impact contre lequel ils étaient sans défense, et l’humanité commence tout juste à se prémunir de cette menace.

Un scénario bien sombre et inquiétant… Quelles sont les solutions pour l’éviter ?

Pour l’instant, on en est au stade législatif, des propositions pour responsabiliser les Etats, pas les entreprises. Dans le secteur spatial, même si toute la chaîne est privée, l’Etat d’où a eu lieu le lancement est responsable des dommages créés par la charge utile placée en orbite. C’est à dire que si une fusée Space X détruit une ville, ou qu’un satellite Eutelsat ne se désintègre pas entièrement et rase la moitié d’un département, c’est l’Etat américain qui est responsable.

Côté européen, une entreprise suisse a élaboré avec l’ESA la mission ClearSpace, “nettoyage de l’espace”, d’après le nom de l’entreprise. Le but de la mission est d’envoyer une sorte de serre robotisée pour attraper le satellite PROBA-1 et le pousser vers l’atmosphère terrestre, ce qui détruirait l’engin de ClearSpace et le satellite. C’est un processus coûteux et polluant, la mission est programmée pour 2028, et l’avenir nous dira si c’est la stratégie adoptée par l’ESA pour nettoyer notre orbite.

En attendant, des associations et des observatoires universitaires font un travail de prévention en traquant le plus de débris possibles. Savoir précisément à chaque moment où est un débri orbital est un travail colossal, mais qui peut éviter la création de nouveaux débris et d’accidents. C’est notre meilleure option pour éviter la catastrophe pour l’instant, mais il faut que tout le monde joue le jeu, Chinois et entreprises privées inclus…

Une interview réalisée par Laurence Aubron.