Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour parler des développements relatifs au programme Artémis, celui qui doit ramener des Américains sur la Lune.
On avait évoqué l’épée de Damoclès qui planait sur le programme Artémis avec la nomination d’un proche d’Elon Musk à la tête de la NASA par l’administration Trump. L’ironie est appréciable d’ailleurs, puisque c’est en 2017 sous la première administration Trump que le projet de ramener des humains sur la Lune a été lancé. Et donc Jared Isaacman, le nouvel administrateur de la NASA, qui est un homme d’affaires du secteur spatial, a fait des déclarations intéressantes et très inquiétantes ces derniers mois, qui confirment largement les craintes d’un désengagement américain.
A-t-il signalé la fin du programme Artémis ?
Textuellement, non, mais on s’en approche de plus en plus. Lorsqu’il s’est adressé au Congrès américain pour sa confirmation à la tête de l’agence spatiale américaine, Isaacman avait eu des propos plutôt étonnants mais rassurants pour le programme Artémis ; il avait dit qu’il voulait poursuivre et entamer des programmes d’envergure qui assureraient aux Etats-Unis la première place de puissance spatiale.
Donc on était très loin des craintes de voir la NASA abandonner Artémis pour assouvir les ambitions martiennes d’Elon Musk.
Sauf que…
Sauf que le Congrès a drastiquement diminué le budget de la NASA de presque 25% pour la nouvelle administration, que des vagues de licenciement massives ont eu lieu à la NASA, en affectant particulièrement les départements de recherche et d’innovation, et que les attaques contre le SLS, l’architecture de lancement du programme Artémis, a continué à être attaquée, et qu’Isaacman a dit que le SLS ne servirait que pour les trois premières missions déjà programmées, mais ne serait pas renouvelé. Et cela se fera au profit des lanceurs privés, au premier rang desquels on retrouve Space X d’Elon Musk.
Et ce n’est pas juste le SLS qui va être abandonné par la NASA, c’est aussi Orion, la capsule spatiale propulsée qui doit abriter et emmener les humains jusqu’à notre satellite naturel.
Quelles sont les alternatives à Orion ?
C’est là que le bât blesse. Orion est une architecture ultra-sécurisée, on parle d’y mettre des humains, pas n’importe quelle charge utile. Et c’est l’Europe, via l’ESA et des entreprises européennes, qui est chargée de la fabrication des modules de service d’Orion, donc c’est un grave manque à gagner en termes économiques, parce que la fabrication et la livraison aux Américains ont déjà commencé, et le doute plane sur les paiements –on parle de l’administration Trump qui a stoppé la distribution de fonds déjà appropriés et engagés contractuellement dans d’autres secteurs, quand même. C’est aussi un manque à gagner scientifique, parce que la contribution de l’Europe sur Orion, la Gateway lunaire, le programme Artémis en général, était l’assurance d’avoir des places pour les astronautes européens sur les missions lunaires.
Qu’est-ce que la Gateway ?
C’est une station qui est largement fabriquée par l’Europe, qui devait être placée en orbite lunaire, et participer de l’occupation permanente de la Lune, assurer un relais entre Terre et Lune, et comme l’ISS, être un symbole de coopération internationale dans l’espace. Et sur la Gateway, il n’y a pas de projet de la remplacer par des alternatives privées moins chères, elle vient juste d’être annulée.
Quelles sont les implications pour le programme ?
Déjà, trois modules de service ont été fabriqués et livrés, ça compte pour les trois premières missions du SLS qui sont maintenues, dont la première a déjà eu lieu en 2022. Les trois autres qui doivent être fabriqués par Airbus Defense & Space, qui a reçu 650 millions d’euros de l’ESA pour cette commande, ont un avenir beaucoup plus incertain. La place des astronautes européens sur les missions est complètement remise en question, donc avoir un Européen sur la Lune pour la première fois, l’est aussi.
Concrètement, les Européens sont en train d’être éjectés du programme Artémis. L’ESA respectera sa part du marché conclu en 2012 ; Joseph Aschbacher, le directeur de l’ESA, l’a affirmé. Et ça montre que l’Europe est un partenaire fiable, là où la NASA, encore une fois comme pour Rosett, souffre d’aléas politiques qui se répercutent sur ses partenaires et sur l’observation et l’exploration spatiale.
Un dernier mot pour la fin, quel est l’avenir du programme Artémis tel que vous le voyez ?
On verra peut-être un version diluée, américano-états-unienne, d’Artémis voir le jour. Mais ça n’aura plus rien à voir avec l’architecture de départ. Et à l’instar de ce qu’on constate sur le plan militaire, commercial, politique, les Etats-Unis ne font plus preuve d’aucune considération pour l’Europe, qui était à part entière conceptrice et fabricante d’une large partie du programme Artémis, et les Américains font complètement fi de leurs engagements vis-à-vis de l’Europe. Là-dessus, charge à l’Europe de développer ses propres programmes lunaires, et de se trouver de nouveaux partenaires plus fiables.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.