Alors, Quentin Dickinson, avez-vous passé un bel été ?
Dans l’ensemble, oui, merci ; mais la notion traditionnelle de trêve estivale a pour ainsi dire disparu ces dernières années du calendrier européen et, dans les institutions de l’UE comme dans les chancelleries des pays-membres, la masse et la gravité de l’actualité n’auront guère permis de débrayer, fût-ce un seul jour.
Et c’est également le sort de celles et de ceux dont la tâche est d’expliquer et de commenter cette actualité – c’est-à-dire vous et moi (notamment)…
Cette actualité, c’est d’abord le résultat préoccupant des élections législatives en Slovaquie.
Les citoyens de ce petit État d’Europe centrale d’un peu moins de cinq millions et demi d’habitants sont en effet allés aux urnes samedi dernier, et ont choisi de consacrer le retour aux affaires du parti SMER, officiellement social-démocrate, de l’ancien chef de gouvernement Robert FICO, chassé du pouvoir en 2018 par le scandale provoqué par l’assassinat du journaliste Ján KUCIAK et de sa fiancée. Le SMER l’a remporté par 23 % contre 17 % aux centristes du Parti Slovaquie progressiste, formation de la Présidente de la République, Zuzana ČAPUTOVÁ.
Nimbée de corruption et de copinage, l’image de marque de l’assez autoritaire M. FICO a de quoi inquiéter ici à BRUXELLES, ce d’autant qu’il ne cache pas son admiration pour son voisin hongrois Victor ORBÁN, dont il épouse très exactement la ligne prorusse, anti-ukrainienne, et eurosceptique.
Reste pour M. FICO à former un gouvernement, inévitablement de coalition ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans le détail dans notre éditorial, à ce même micro, vendredi.
Et une autre élection problématique pour l’UE se profile à l’horizon.
Cette fois-ci, c’est en Pologne que se tiendront les législatives (ce sera le 15 octobre), législatives doublées, le même jour, d’un référendum sur l’immigration – la ficelle est un peu grosse, mais il fallait oser.
Il semblerait qu’il y ait aussi du souci à se faire pour la mise en œuvre des nouvelles (et ambitieuses) dispositions environnementales européennes, QD…
Tout le monde (ou presque) avait salué l’approche dynamique et concrète de la Commission européenne des chantiers de la décarbonation de l’industrie et de nos habitudes quotidiennes en matière de chauffage et de déplacements, notamment - en tout, trente-deux lois européennes, adoptées en un temps-record, et destinées à parvenir à la neutralité-carbone en 2050.
Mais voilà : les contraintes et les coûts commencent à en apparaître pour chacun d’entre nous, et, à l’approche d’élections dans nombre de pays de l’UE, les partis politiques tentent d’atténuer les efforts demandés aux citoyens.
Comment cela se traduit-il dans les faits ?
Le premier coup de semonce est venu d’Allemagne, où la fragile coalition de centre-gauche écologiste s’est trouvée confrontée à une levée de boucliers d’associations de citoyens (vite récupérée par les partis d’opposition), associations épouvantées à l’idée d’avoir à remplacer leurs chaudières, même récentes, par de coûteuses pompes à chaleur.
Autre signe des temps : au Royaume-Uni, le Parti conservateur au pouvoir (et en pleine chute dans tous les sondages, à un an des législatives) a eu la divine surprise de remporter une élection partielle en faisant campagne contre les zones urbaines à très basses émissions. Et il n’en fallait pas plus pour qu’au congrès annuel du parti, ces jours-ci à MANCHESTER, le Premier ministre Rishi SUNAK se déclare officiellement l’ami des automobilistes.
Et, dans la foulée, on peut compter sur les pays d’Europe centrale et la Grèce, encore très dépendants des énergies fossiles, pour s’enhardir jusqu’à freiner le calendrier de réalisation des objectifs auxquels leurs gouvernements ont pourtant adhéré.
Et, pendant ce temps, dans le Caucase, le Haut-Karabagh achève tristement de se vider de ses habitants arméniens, Quentin Dickinson.
…sans que l’Union européenne intervienne autrement que par un communiqué appelant à la retenue des acteurs de terrain ainsi que par la proposition de soutien humanitaire, ce qui en a choqué plus d’un. C’est que la fin de la surdépendance de l’UE du gaz russe se traduit en partie par un report sur les hydrocarbures azerbaïdjanaises. Mais que pouvait-on faire ? dit-on ici.
Jusqu’à récemment, explique-t-on, l’Arménie comptait sur le soutien de MOSCOU, qui avait même dépêché sur place un contingent militaire chargé de séparer les belligérants, et qui aura de façon d’ailleurs prévisible totalement failli à sa mission. Une intervention directe de l’UE, sous quelque forme que ce soit, était de ce fait inenvisageable. Pas glorieux, mais logique. Accessoirement, on constatera que l’influence du Kremlin dans ses anciennes républiques soviétiques du Caucase est en très net recul, ce qu’ont bien compris les dirigeants de l’Azerbaïdjan ; on peut y voir un effet collatéral de la guerre en Ukraine. De la part des Russes, les menaces, comme les promesses de soutien, sont aujourd’hui devenues inopérantes dans cette région.
Vous aviez déjà eu l’occasion ici de dire tout le bien que vous pensiez du tunnel ferroviaire sous les Alpes sur l’axe LYON-TURIN, actuellement en construction. Or, il y a du nouveau dans ce dossier, semble-t-il ?...
Vous vous souviendrez que la ligne ferroviaire actuelle avait été coupée par l’effondrement d’une falaise à la fin du mois d’août, en interrompant, le temps des travaux de réfection et de consolidation de la face rocheuse, toute circulation transalpine de trains entre la France et l’Italie. Or, voilà que vendredi dernier, le Préfet de Savoie annonçait que la ligne ne serait rétablie – au mieux – qu’au cours de l’été 2024. D’ici-là, le report se fera massivement sur la route, avec un coûteux détour par la Suisse ou par VINTIMILLE, ainsi que sur l’avion.
C’est évidemment regrettable à tous points de vue, mais c’est aussi une démonstration de choc : qui, aujourd’hui, oserait encore nier l’utilité du nouveau tunnel, qui passe sous la montagne au niveau de la plaine, et qui, dès lors, n’est nullement soumis aux aléas de la haute montagne ?...
Entretien réalisé par Laurence Aubron.