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Programmes des partis sur la politique étrangère aux élections fédérales allemandes

© Bündnis 90/Die Grünen Nordrhein-Westfalen - Wikimedia Commons Programmes des partis sur la politique étrangère aux élections fédérales allemandes
© Bündnis 90/Die Grünen Nordrhein-Westfalen - Wikimedia Commons

Dans leurs chroniques sur euradio, Jeanette Süß et Marie Krpata dressent un état des lieux des relations franco-allemandes et de la place de la France et de l’Allemagne au sein de l’UE et dans le monde. Elles proposent d’approfondir des sujets divers, de politique intérieure, pour mieux comprendre les dynamiques dans les deux pays, comme de politique étrangère pour mieux saisir les leviers et les freins des deux côtés du Rhin.

Bonjour Marie, vous allez aujourd’hui nous parler des éléments programmatiques en matière de politique étrangère des partis en lice pour les élections fédérales allemandes du 23 février.

Commençons peut-être par un bilan de la coalition feu tricolore en matière de politique étrangère.

La coalition feu tricolore a été marquée par la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. On se souvient du fameux discours de la « Zeitenwende », du changement d’époque, du chancelier Scholz. L’Allemagne a rompu avec certains tabous :

Premièrement, en matière de sécurité et de défense, l’Allemagne s’engage à dépenser 2% de son PIB en matière de défense. Elle a de plus créé un fonds spécial pour moderniser la Bundeswehr et livré des armes à l’Ukraine, un territoire en guerre.

Deuxièmement, l’Allemagne opère un découplage par rapport aux hydrocarbures russes rompant avec des décennies de liens très étroits avec Moscou. Cette proximité lui avait permis de renforcer la compétitivité du « Made in Germany » grâce à une énergie russe peu onéreuse.

Troisièmement, elle est obligée de revoir son approche de l’économie et du commerce. Dans les arbitrages entre intérêts économiques et sécurité la balance penche du côté de la sécurité. C’en est fini de la doctrine du « changement à travers le commerce », du moins c’est l’ambition.

Au durcissement géopolitique s’ajoutent la guerre au Proche-Orient et la chute du régime Assad en Syrie, qui par effet de ricochet polarisent la société allemande sur fond de débats sur l’immigration.

Revenons-en à la relation transatlantique : comment la situation a-t-elle évolué envers les Etats-Unis et quelles sont les priorités en la matière du point de vue des différents partis en lice ?

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (l’OTAN), la présence militaire américaine en Allemagne et la dissuasion nucléaire états-unienne sont essentiels pour la sécurité Outre-Rhin. La guerre en Ukraine a encore renforcé ces liens. Or le retour de Donald Trump à la tête de la Maison Blanche est susceptible de créer des frictions.

Si le SPD, les Verts, la CDU et le FDP soulignent l’importance des relations entre les Etats-Unis et l’Allemagne, ils reconnaissent aussi que l’Europe doit prendre davantage de responsabilité en matière de sécurité et de défense. Les Verts vont même jusqu’à proposer de porter les dépenses en matière de défense à 3,5% du PIB.

Sur le plan de l’économie, ce sont les droits de douanes sur les importations de produits en provenance d’Europe qui inquiètent, Laurence. Se pose la question des propositions que l’on peut faire à Donald Trump pour qu’il renonce à les mettre à exécution. Acheter davantage de gaz naturel liquéfié ou d’armes aux Etats-Unis ? S’aligner sur leur politique par rapport à la Chine ? Assouplir les exigences normatives au niveau européen sur le plan climatique ou numérique ? Olaf Scholz a récemment laissé entendre qu’il riposterait en mettant en place des droits de douane contre des produits américains alors que la CDU propose de raviver l’accord de libre-échange UE-Etats-Unis.

Regardons vers l’Est : quid de la politique de l’Allemagne par rapport à la Chine ?

Concernant la Chine, elle est considérée comme « partenaire », « concurrent » et « rival systémique », Laurence. Le mot d’ordre est à la « diversification » pour réduire les sur-dépendances sur le plan économique – autant pour les approvisionnements que pour les débouchés – mais il s’agit aussi de protéger les infrastructures critiques d’éventuels sabotages ou espionnage. Or le chancelier a subi une forte opposition lorsqu’il a donné son feu vert à l’investissement de l’armateur chinois COSCO dans la société de gestion du terminal Tollerort sur le port de Hambourg alors qu’il s’agit d’une infrastructure critique.

Les Verts, largement à la manœuvre dans l’élaboration de la stratégie globale sur la Chine de 2023, empreinte d’une fermeté inhabituelle de la part de l’Allemagne à l’égard de la Chine, expliquent leur positionnement par une défense virulente d’une « diplomatie des valeurs » à l'encontre de régimes autoritaires. Le FDP souligne la rivalité systémique. Le SPD, habituellement à la ligne moins dure envers Pékin, réclame dans son programme électoral l’application de la stratégie globale et la définition d'une position européenne, tandis que la CDU mise sur une position étroitement accordée avec les Etats-Unis.

Cela tranche avec le positionnement des deux partis à la gauche du SPD, Die Linke et le Bündnis Sahra Wagenknecht, sceptiques à l’égard des Etats-Unis et qui croient en une Chine comme médiateur crédible dans la guerre en Ukraine.

Pour se rapprocher de notre voisinage : quid des relations avec la Russie et du soutien à l’Ukraine ?

On se souvient du coup de fil passé entre Olaf Scholz et Vladimir Poutine fin 2024 qui avait suscité de vives critiques contre le chancelier allemand soucieux de se présenter comme « chancelier de la paix » en vue des élections fédérales de 2025. Ce positionnement vise aussi à puiser dans l’électorat de Die Linke ou du Bündnis Sahra Wagenknecht, à la gauche du SPD, deux partis qui souhaitent faire taire les armes et entamer des négociations de paix. Même son de cloche du côté de l’AfD qui souhaite rétablir les relations avec la Russie sur les plans économique et énergétique.

Ces positions tranchent avec celle de la CDU, des Verts et des Libéraux qui en appellent à continuer de soutenir l’Ukraine en accroissant la pression économique sur la Russie.

Deuxième soutien militaire après les Etats-Unis, les orientations de l’Allemagne pour les quatre années à venir seront décisives pour la capacité de l’Ukraine à se défendre. C’est pour cela, Laurence, que Volodymyr Zelensky est susceptible d’observer avec attention l’issue des élections en Allemagne le 23 février prochain.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.