A la frontière entre la France et l’Allemagne, une nouvelle structure transfrontalière a commencé ses travaux : c’est le projet “Justice sans frontière”. L’ouverture de ce point de contact franco-allemand permettra désormais de proposer gratuitement à tout citoyen une consultation et une expertise juridique, en cas d’un différend frontalier. Désirée Gagsteiger est cheffe de ce projet visant à nous aider à mieux faire valoir nos droits d’Européens. Elle est notre invitée du jour, au micro de Romain L’Hostis.
Désirée Gagsteiger, est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu plus en quoi consiste ce projet de justice en région frontalière, qu’entend-on par point de contact ?
Alors vous avez très bien dit on veut faire un point de contact franco-allemand pour la justice pour faciliter l’accès au droit aux personnes de la frontière au delà de la frontière. C’est-à-dire qu’on veut créer un point de contact unique et centralisé qui est capable d’orienter le justiciable vers les bonnes informations procédurales et les professionnels du droit dont il a besoin pour faire exécuter ses droits dans le pays voisin.
En quoi ce projet est une innovation importante ? Quelle est la différence avec ce que fait déjà le Centre européen de la Consommation ou le centre européen des consommateurs ?
Pour le moment le Centre européen de la consommation se concentre sur la consommation, et là déjà l’année dernière on a traité 45 000 demandes dans lesquelles dans 75% des cas, on a pu trouver une solution à l’amiable. Mais il reste encore 25% des cas qui ne peuvent pas être résolus à l’amiable, et où les gens ont besoin d’aide pour agir en justice. Et ça c’est seulement le droit de la consommation. On a fait le constat avec différents acteurs du droit de la région frontalière et différentes institutions transfrontalières qu’il y a un grand besoin dans tous les différents domaines de droit, d’avoir des connaissances du droit du pays voisin. L’accès au droit est surtout difficile parce qu’il y a une méconnaissance du droit, les gens ne parlent pas la langue. Déjà c’est compliqué de connaître les droits dans son propre pays, mais c’est encore plus compliqué quand il s’agit de connaître les droits du pays voisin. Côté français il existe les points justice, c’est des points qui offrent des consultations gratuites avec des professionnels du droit. Côté allemand, ça n’existe pas. Il y a l’aide juridictionnelle, mais il n’y a pas ces consultations gratuites. Donc on a pris un peu l’idée des points justice en France, et on les a transféré en Allemagne, en faisant un plus grand projet : il s’agit de proposer des consultations gratuites avec des professionnels de droit bilingues, spécialisés, dans tous les domaines de droit.
Donc pas seulement limité au droit de la consommation ?
C’est ça. Donc, ça peut concerner le droit du travail, le droit de la famille, le droit des successions, le droit immobilier, le droit fiscal, ou aussi le droit civil général. Donc on ne se limite pas seulement au droit de la consommation.
Est-on encore dans le cadre de l’amiable ? Ou bien est-on déjà dans la préparation d’une procédure judiciaire ?
Cela dépend du domaine de droit. Si l’avocat constate par exemple qu’il faut d’abord une médiation ou une conciliation avant, il va proposer aux gens plutôt de ne pas agir directement en justice, mais d’entreprendre d’autres démarches avant. Donc c’est pas seulement limité à l’amiable. Mais il peut s’agir de faire une démarche en justice, il peut aussi s’agir de faire une médiation avant. Donc ça dépend vraiment du cas précis. Evidemment, dans une vingtaine-trentaine de minutes de consultation on peut pas résoudre le cas, mais on peut donner au justiciable les instruments dont ils ont besoin pour faire valoir leur droits, c’est-à-dire toutes les informations sur le système du droit, quel tribunal est compétent, quel droit est applicable, etc. donc ça lui permet vraiment déjà d’avoir une première idée de comment faire valoir ses droits dans l’autre pays.
Vous parlez de ces 30 minutes de consultation dans ce point de contact franco-allemand. Donc un.e citoyen.ne français.e ou allemand.e peut en bénéficier. Est-ce que les Suisses aussi ?
Non. C’est un projet pilote financé par le programme Interreg, donc là on se limite surtout dans la zone de programmation qui est le Grand Est côté français, la Bad-Wurtenberg et le Sud de la Rhénanie-Palatinat côté allemand. Donc pour le moment c’est vraiment limité à la région, mais l’idée est vraiment de le pérenniser et de l’élargir, car il y a le même constat dans toute l’Europe, dans toutes les régions frontalières. Donc c’est un premier projet de 3 ans, pour tester pour voir comment ensuite l’élargir, et éventuellement proposer des points de contact dans d’autres régions en Europe.
Ce point de contact est piloté, hébergé ici depuis le Centre européen de la Consommation. Pourquoi ? Puisqu’au final ce projet Justice sans frontière dépasse le droit à la consommation.
Nous, on est une structure binationale de maintenant 30 ans d’expérience dans les litiges transfrontaliers. La première fois, cette idée pour ce projet a été évoquée par les tribunaux de Offenburg et de Strasbourg qui ont, ensemble fait ce constat commun qu’il y a un besoin, un grand manque sur le système judiciaire de l’autre pays, et ils se sont tournés vers le Centre européen de la consommation, aussi grâce à cette grande expérience dans les litiges transfrontaliers.
Pour lancer ce projet, vous avez bénéficié du soutien financier du programme européen Interreg Rhin Supérieur. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?
Le programme Interreg, c’est un programme qui finance des projets régionaux, et ce sont des fonds de la Commission européenne. Dans ce projet là, Interreg finance 60% du budget total, et il nous a fallu trouver des partenaires financiers côté français et côté allemand. Côté allemand on a par exemple les Ministères des Landers, le Ministère de la Consommation et le Ministère de la Justice. Côté français on a les collectivités locales (la CEA, la région Grand Est, Ville et Eurométropole de Strasbourg), mais aussi au niveau national le Ministère de la Justice, et aussi le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Donc ceci montre aussi que ça n’a pas seulement un intérêt pour la région, mais aussi au delà au niveau national.
Mais si vous avez des comptes à rendre, ce sera majoritairement auprès de la Commission européenne, ou bien vous réussissez malgré tout à garder cet ancrage territorial ?
On a une convention qui va être signée au niveau Interreg avec tous les partenaires, qui met le cadre du projet, mais on a aussi des conventions avec les différents partenaires auxquels on doit aussi rendre compte.
Si demain, je souhaite déposer une demande, comment s’y prendre ? quelles étapes faut-il suivre ?
Donc c’est très facile, on a un site internet dédié au projet. C’est le site internet du CEC, du Centre européen de la consommation. Et on a une sous-rubrique explicitement pour ce projet Justice sans frontière. La prise de contact est très facile, on a un formulaire en ligne qu’on peut remplir et qui, après est envoyé à l’équipe du projet, qui est composée par des juristes, bilingues spécialistes du droit international privé, droit français et droit allemand, et qui vont procéder à un premier filtrage et aiguillage des demandes. C’est là aussi la spécificité de ce projet, c’est qu’on va vraiment orienter le justiciable vers le bon interlocuteur : donc ça dépend, ça peut être des informations sur notre site internet, mais ça peut aussi être du coup une consultation gratuite avec un avocat, un notaire ou un commissaire de justice spécialisé bilingue dans le domaine de droit qui est concerné. Et en droit de la consommation, ce sont les juristes du projet qui vont s’en occuper, on va agrandir notre service concernant le droit de la consommation, en proposant un accompagnement dans les procédures européennes simplifiées. On va faire cet aiguillage, ce filtrage, pour ensuite proposer la solution la plus adaptée.
Entretien réalisé par Romain L'Hostis.