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Des ponts imaginaires sur nos euros ? Au coeur de l'iconographie fiduciaire - Louise Wambergue

© Pixabay Des ponts imaginaires sur nos euros ? Au coeur de l'iconographie fiduciaire - Louise Wambergue
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Sauriez-vous dire les yeux fermés quels motifs et images sont représentés sur un billet de 10, 20, ou 50 euros ? Depuis leur entrée en circulation le 1er janvier 2002, les billets en euro affichent leur design unique dans tous les pays membres de la zone euro. De la Croatie à la Lituanie en passant par l'Allemagne ou encore la France, 20 pays européens partagent aujourd'hui les mêmes billets de monnaie, avec les mêmes motifs architecturaux représentés dessus. Une expérience européenne unique dans l'histoire du continent, mais d'autant plus troublante que ces motifs architecturaux, ces ponts et arches, sont complètement imaginaires.

Qu'est-ce qui a motivé ce choix de design sur nos euros ? Qui décide aujourd'hui du graphisme de ces billets de monnaie, et via quel processus ? Le billet de banque peut-il contribuer à renforcer l'appartenance à une Europe plus unie ? On en discute avec Louise Wambergue, doctorante en design graphique et culture visuelle auprès de l’Université de Strasbourg, qui s'est spécialisée sur les changements voire le bouleversement iconographique des billets de banque lors du passage des monnaies nationales à l’euro.

Des ponts et portails qui n'existent pas

Selon la Banque centrale européenne (BCE), les billets en euro actuellement en circulation s'inscrivent dans le thème graphique "Époques et styles architecturaux". Ce design inclut plusieurs éléments : signes de sécurité, petite carte de l'Union européenne, et sur un côté la représentation de fenêtres et portails, et sur l'autre côté, des ponts. L'objectif de ces ponts et portails : "symboliser l'esprit d'ouverture et de coopération" et "le lien qui unit non seulement les peuples européens entre eux, mais aussi l'Europe avec le reste du monde". Les styles architecturaux représentés sont réels (le billet de 5 euros affiche un style classique, celui de 10 euros le style roman, 20 euros le style gothique etc.), pourtant les ponts eux-même n'existent pas.

L'objectif de la Banque centrale européenne était d'avoir des ponts anationaux [...]. Certains chercheurs plébiscitent cette idée que le billet serait presque un outil de propagande pour penser une identité européenne. Louise Wambergue

Un processus complexe et dominé par les visions masculines

Sélection de thèmes, consultation citoyenne, formation d'un advisory group, rôle prépondérant du gouverneur de la Banque Centrale de chaque pays - à ne pas confondre avec la BCE -... les étapes sont nombreuses avant d'avoir le nom de la personne qui sera chargée de concevoir le prochain design des billets en euro.

En outre, ce processus est imprégné d'une tradition d'invisibiliser voire de laisser sur la touche les idées proposées par des femmes ou les figures féminines qui auraient pu être représentées sur les billets. Et pourtant, comme nous le rappelle Louise Wambergue, ce ne sont pas les occasions qui manquent.

Des tendances historiques et de société qui continuent d'être très actuelles : quoi ou qui devrait-on faire apparaître sur nos billets ? Présenter un vrai visage, au risque que son détenteur ne soit pas la figure que l'on a idéalisée ? Ou bien des éléments esthétique non humains, naturels, ou même abstraits, au risque que l'on ne s'y retrouve pas ? De quoi relancer les discussions sur ces ponts imaginaires sur nos billets..

Louise Wambergue est doctorante en cultures visuelles à l'Université de Strasbourg, et est rattachée au laboratoire d'approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (ACCRA)

Un entretien réalisé par Romain L'Hostis.