Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
En quoi le populisme peut-il être considéré comme une pathologie du pouvoir en démocratie ?
Theodor Paleologu explique que toute forme de pouvoir est susceptible de pathologies, et que la démocratie, en tant que pouvoir du peuple, n’y échappe pas. Le populisme, souvent perçu comme un phénomène récent, est en réalité profondément ancré dans l’histoire, sous des formes telles que la démagogie chez les Grecs anciens. Ces pathologies naissent de la nature même du pouvoir, qui amplifie les traits de caractère existants et réveille des désirs enfouis. L’auteur souligne que cette tendance n’est pas limitée aux grands dirigeants : elle peut se manifester à tous les niveaux, dès qu’un individu détient une parcelle de pouvoir. Le populisme, en particulier, repose sur une rhétorique simpliste et manipulatrice, mobilisant les passions du peuple pour imposer une domination souvent tyrannique.
Quelle distinction établit l’auteur entre la démagogie antique et le populisme moderne ?
Bien que les deux concepts partagent des caractéristiques communes, comme l’exploitation des émotions populaires et la dénonciation des élites, Paleologu met en évidence une différence majeure. La démagogie antique prospérait dans un contexte où le peuple croyait en sa toute-puissance. En revanche, le populisme moderne émerge dans des sociétés où de larges segments de la population se sentent dépossédés de leur pouvoir, ce qui génère un sentiment d’impuissance et alimente colère et ressentiment. Le populisme prétend répondre à cette crise en promettant de restituer au peuple le contrôle qui lui aurait été confisqué, mais ces promesses s’accompagnent souvent de manipulations, mélangeant vérités, demi-vérités et contre-vérités pour asseoir le pouvoir du meneur.
Quels sont les outils rhétoriques utilisés par les populistes pour séduire et mobiliser les masses ?
En s’inspirant des concepts aristotéliciens de logos, pathos et ethos, Paleologu démontre comment les populistes manipulent leur audience. Le logos, ou discours rationnel, repose sur des idées radicales qui séduisent par leur apparente simplicité. Le pathos s’appuie sur des émotions fortes telles que la colère, la peur ou l’envie, amplifiant le sentiment d’urgence et de crise. Enfin, l’ethos établit une connexion directe entre le leader et le peuple, le populiste se présentant comme l’incarnation du peuple lui-même : "le peuple, c’est moi". Cette personnification confère au leader une autorité quasi sacrée, et toute critique devient alors une attaque contre le peuple. Ces stratégies, déjà efficaces dans les démocraties solides, deviennent particulièrement dangereuses dans des contextes où les institutions sont fragiles.
Quelles solutions l’auteur propose-t-il pour faire face à la montée du populisme ?
Paleologu invite à puiser dans la sagesse des Anciens pour contrer le populisme. Il évoque la nécessité de retrouver la modération, incarnée par des figures telles que Solon, et de recourir à l’humour pour désarmer les démagogues, comme l’aurait fait Aristophane. Cependant, l’auteur reconnaît que les solutions pratiques sont limitées. Il insiste sur l’importance de protéger les institutions démocratiques, particulièrement dans les pays où elles sont vulnérables. L’appartenance à des organisations supranationales, comme l’Union européenne ou l’OTAN, constitue un rempart contre les dérives autoritaires, notamment en Roumanie et en Hongrie. Enfin, Paleologu souligne que combattre le populisme exige une réforme sociale et économique pour répondre aux causes profondes de l’insécurité et de la précarité qui nourrissent ce phénomène.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.