Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans son article intitulé “La préoccupation pour l’État de droit commence dans nos rues”, Laura Codruța Kövesi, Cheffe du Parquet européen, explique le rôle du Parquet et l’importance du respect de l’état de droit dans son travail.
A quoi sert le Parquet européen ?
Le Parquet européen vise à combattre les infractions qui portent atteinte aux intérêts financiers de l'UE en appliquant les droits nationaux et en mobilisant les autorités étatiques. Pour cela, le Parquet s’occupe des affaires portant sur la fraude, le blanchiment de capitaux ou la corruption des agents publics. Il est apparu que nous ne traitons pas avec deux mondes séparés : d’une part les criminels dangereux qui font de la contrebande de drogues ou du trafic d’êtres humains et, d’autre part, les criminels en col blanc, supposément moins dangereux, qui se « contentent » de corruption et de blanchiment d’argent. Ils vont de pair.
En quoi le respect de l’état de droit est important dans le cadre des missions du Parquet européen ?
Le Parquet européen (EPPO) est un organisme européen intégré aux systèmes judiciaires nationaux des 24 États membres participants. Les procureurs délégués européens de l’EPPO enquêtent et poursuivent selon les lois pénales nationales respectives et les lois de procédure pénale nationales. Ils portent leurs affaires devant les tribunaux nationaux.
L’EPPO est une composante intégrée des systèmes de justice de chacun des États membres participants. En pratique, cela signifie que des évolutions affectant les tribunaux, les procureurs, la police ou d’autres acteurs de la justice pénale dans l’un des États membres participants peuvent avoir un effet direct sur l’ensemble de l’EPPO.
C’est pourquoi, l’EPPO prend la parole dans les cas où des problèmes liés à l’état de droit ont été rencontrés, cela peut aller des problèmes systémiques (par exemple, le manque de coopération sincère des autorités nationales avec l’EPPO) à des tentatives isolées de politiciens d’interférer avec les enquêtes de l’EPPO, en passant par des questions législatives.
Y-a-t-il eu des tensions entre le Parquet européen et certains Etats membres concernant le respect de l’Etat de droit ?
Oui, à plusieurs reprises. Ainsi, l’EPPO a protesté contre le défaut de proposition de procureurs délégués européens (par exemple, en Slovénie), le refus de coopérer avec l’EPPO par un État membre non participant (par exemple, l’Irlande) ainsi qu’une tentative de réduire les peines et de raccourcir les délais de prescription pour les crimes en col blanc (par exemple, en Slovaquie).
Aujourd’hui, la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques diminue considérablement. Différents facteurs illustrent cette méfiance qui s’installe au sein de la société. Une des raisons les plus évidentes est celle de la vision qu’ont les citoyens de l’influence sur la justice des intérêts politiques. Le manque de sentiment de sécurité, ainsi que les différences de traitement ressentis par les citoyens sont aussi des obstacles à leur entière confiance dans les institutions.
Face à ces facteurs restreignant la confiance institutionnelle des citoyens, il est nécessaire de se concentrer sur le travail des juges et des acteurs du système judiciaire et surtout à leur respect de l’impartialité et de l’indépendance. Ces deux valeurs sont essentielles pour perpétuer l’égalité entre les citoyens devant les tribunaux. Le système judiciaire se doit d’être indépendant, sans que certains responsables politiques s’immiscent dans son fonctionnement et altèrent ainsi la confiance de ses citoyens. Des efforts quotidiens sur le niveau de l’impartialité du système judiciaire sont encore à déployer par les juges à travers l’Europe.
A l’avenir, comment le Parquet européen pourra-t-il voir son efficacité renforcée ?
A l’avenir, le Parquet européen devra encore progresser en termes de perception de la fraude financière par exemple. Une des pistes pour renforcer son efficacité est le développement du mandat d'Europol. Cette agence, qui œuvre pour la sécurité au sein de l’espace européen, pourrait à l’avenir davantage collaborer avec le Parquet européen et soutenir les enquêtes qu'il mène, en signalant rapidement les comportements délictueux qui relèvent de sa compétence. Le Parquet pourrait ainsi se concentrer sur une meilleure coordination entre les Etats membres et Europol pour lutter contre la criminalité organisée.
De plus, avec une clarification réglementaire, le Parquet sera en mesure de combattre plus efficacement les groupes criminels organisés de l’UE. Ces transformations futures développant la capacité du Parquet et des agences européennes, telles qu’Europol, permettront de veiller au respect de l’intégrité de l’état de droit, comme à son principe d’impartialité au sein de l’UE.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.