Échos d'Europe

Entre pauvreté subjective et pauvreté objective, comment analyser la situation en Europe ?

Photo de Nicola Barts - Pexels Entre pauvreté subjective et pauvreté objective, comment analyser la situation en Europe ?
Photo de Nicola Barts - Pexels

Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

La question de la pauvreté en Europe est complexe et peut être abordée sous deux angles : la pauvreté objective, définie par les seuils de revenus, et la pauvreté subjective, qui correspond à la perception personnelle du manque de ressources. En 2023, bien que 16,2 % des Européens se trouvaient en dessous du seuil de pauvreté, une proportion beaucoup plus élevée, soit 34,1 %, se déclarait pauvre selon Eurostat. Cette différence met en évidence le fossé entre les données statistiques et la perception individuelle de la pauvreté. Dans un article de Confrontations Europe intitulé Pauvreté subjective et pauvreté objective en Europe : quelques réflexions, Anastasia Panopoulou, consultante dans l’administration française, nous invite à explorer les implications de ces chiffres. Elle y analyse également les facteurs économiques et culturels qui influencent la perception de la pauvreté à travers l’Europe.

Quelles sont les principales différences entre la pauvreté objective et subjective en Europe, et que révèlent les derniers chiffres d'Eurostat ?

Les données objectives sur la pauvreté en Europe, telles que celles fournies par Eurostat, révèlent que 16,2 % des Européens vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui varie considérablement d’un pays à l’autre. Cependant, lorsque l’on interroge les citoyens sur leur propre perception de la pauvreté, ce pourcentage grimpe à 34,1 %. Cette différence met en évidence que la pauvreté subjective, perçue par les individus par rapport à leur entourage, dépasse largement les critères objectifs, qui se basent uniquement sur des indicateurs économiques. Ce phénomène est particulièrement frappant dans les pays du Sud et de l’Est de l’Europe, où le sentiment de pauvreté est plus marqué, bien que les indicateurs objectifs y soient souvent moins alarmants que dans les pays du Nord et de l’Ouest. Cela montre que la pauvreté, telle qu'elle est vécue, dépend aussi fortement de la comparaison sociale et du contexte culturel.

Pourquoi cette disparité existe-t-elle entre les perceptions de pauvreté et la réalité économique ?

La disparité entre pauvreté objective et subjective trouve en grande partie son origine dans des facteurs culturels, sociaux et économiques. La perception de la pauvreté est influencée par la structure sociale et économique de chaque société. Dans les pays du Sud de l’Europe, la pauvreté est souvent vécue comme un échec social ou une régression par rapport à une situation antérieure, ce qui renforce le sentiment de privation. En revanche, dans les pays nordiques, où les systèmes de protection sociale sont plus robustes, le sentiment de pauvreté est atténué, même si des disparités économiques objectives persistent. Par ailleurs, les inégalités de revenus jouent un rôle clé dans cette perception. Dans des pays comme la Grèce ou la Bulgarie, où les écarts de richesse sont plus marqués, une proportion significative de la population se considère comme pauvre, accentuant ainsi le fossé entre la pauvreté objective et la perception individuelle.

Quel rôle joue l'évolution des revenus et le coût de la vie dans la perception de la pauvreté ?

Malgré une tendance générale à la hausse des revenus moyens dans la plupart des pays européens depuis 2010, la perception de la pauvreté reste élevée, en grande partie en raison de l’augmentation du coût de la vie. En France, par exemple, bien que le revenu moyen soit supérieur à la moyenne européenne, le coût de la vie y est également plus élevé, ce qui contribue à un sentiment de pauvreté répandu parmi une part importante de la population. Ce phénomène est d’autant plus marqué dans les régions où les écarts de revenus sont prononcés. En effet, le revenu disponible à lui seul ne suffit pas à expliquer ce sentiment de pauvreté : le pouvoir d'achat, ainsi que l'accessibilité aux services essentiels, jouent un rôle tout aussi crucial.

Quel impact les politiques européennes et nationales ont-elles sur la lutte contre la pauvreté subjective et objective ?

L'Union européenne a mis en place plusieurs initiatives pour lutter contre la pauvreté, notamment à travers le Socle européen des droits sociaux et les Fonds structurels. Toutefois, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale reste avant tout une compétence des États membres. L'UE intervient dans des domaines spécifiques, mais sa capacité à agir est limitée. Le Socle européen des droits sociaux énonce des principes visant à garantir un emploi de qualité, une protection sociale suffisante et une réduction des inégalités, mais la mise en œuvre effective de ces principes varie selon les contextes nationaux. Les différences culturelles, économiques et les choix politiques des États membres influencent considérablement l’efficacité de ces mesures. Ainsi, pour que la pauvreté, qu'elle soit réelle ou perçue, soit vraiment combattue, il est essentiel que les États membres continuent à investir dans la protection sociale, l'éducation et l'accès aux services sociaux, tout en renforçant la coordination avec les politiques européennes.

Le débat sur la pauvreté, tant objective que subjective, révèle une réalité complexe où les facteurs économiques, sociaux et culturels se croisent. Le défi pour l'Europe est de trouver un équilibre entre ces perceptions et les actions concrètes pour améliorer les conditions de vie des citoyens.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.