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Renouvellement des institutions européennes : de fortes attentes en matière sociale

© Fernando Losada Rodríguez - Wikimedia Commons Renouvellement des institutions européennes : de fortes attentes en matière sociale
© Fernando Losada Rodríguez - Wikimedia Commons

Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Dans son article « Renouvellement des institutions européennes : de fortes attentes en matière sociale », Chloé Bourguignon, Conseillère nationale au secteur Europe-International de l’UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes), analyse les défis sociaux qui attendent la nouvelle Commission européenne.

Quel impact la composition de la nouvelle Commission européenne pourrait-elle avoir sur les politiques sociales ?

La nouvelle répartition des portefeuilles et l’orientation politique du collège des commissaires suscitent des préoccupations. La forte poussée des droites conservatrices et d’extrême droite, notamment avec la nomination de Raffaele Fitto à la vice-présidence, pourrait freiner les avancées en matière sociale. De plus, la disparition d’un portefeuille spécifiquement dédié aux droits sociaux et à l’égalité, ainsi que la sous-représentation des femmes au sein de la Commission, envoient des signaux négatifs sur la place accordée à ces thématiques.

Par ailleurs, les premières annonces montrent une volonté de mettre l’accent sur la compétitivité et la simplification réglementaire, au détriment d’une approche plus régulatrice et sociale. Il existe donc un risque que certaines avancées obtenues sous la précédente mandature soient remises en cause ou reléguées au second plan.

Quelles sont les principales priorités sociales annoncées par la Commission européenne ?

Plusieurs initiatives ont été mises en avant, dont le Pacte sur le dialogue social, prévu pour début 2025, qui vise à renforcer la place des partenaires sociaux dans l’élaboration des politiques européennes. Cet engagement est un signal positif, d’autant plus qu’il intervient à l’occasion du 50e anniversaire du sommet de Val Duchesse, qui avait marqué le début du dialogue social européen.

La « boussole pour la compétitivité », présentée en janvier par von der Leyen, inclut également un volet social avec une feuille de route pour des emplois de qualité. Cependant, malgré ces annonces, peu d’engagements concrets ont été pris sur de nouvelles initiatives législatives ambitieuses, ce qui pose question quant à la portée réelle de ces mesures.

Les avancées sociales de la précédente mandature sont-elles aujourd’hui menacées ?

Plusieurs textes adoptés ces dernières années font déjà face à des contestations. La directive sur la transparence des salaires, qui impose aux entreprises de lutter contre les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, est critiquée par certains employeurs comme un fardeau réglementaire. La directive sur les salaires minimums est, quant à elle, contestée devant la Cour de justice de l’UE, ce qui pourrait fragiliser son application dans certains États membres.

D’autres dossiers, comme la directive sur le devoir de vigilance des multinationales ou la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), pourraient être affaiblis par la future directive « Omnibus » prévue en février. Cette tendance à revoir à la baisse certaines exigences réglementaires inquiète les syndicats et les défenseurs des droits des travailleurs, qui y voient une menace pour les avancées obtenues en matière de protection sociale et de responsabilité des entreprises.

Quels sont les prochains enjeux sociaux majeurs pour l’Union européenne ?

Plusieurs batailles sociales restent à mener dans les mois et années à venir. Une directive sur le télétravail et le droit à la déconnexion, qui n’a pas pu voir le jour sous la précédente Commission faute d’accord entre partenaires sociaux, demeure une priorité pour encadrer les nouvelles formes d’organisation du travail.

La prévention des risques psychosociaux au travail est également un enjeu crucial, alors que le stress et l’épuisement professionnel sont en hausse dans de nombreux secteurs. Une initiative législative européenne pourrait apporter un cadre harmonisé et protecteur sur ce sujet.

Une autre priorité concerne la transition juste, avec la nécessité d’adopter un cadre réglementaire permettant d’accompagner les transformations industrielles tout en garantissant des emplois et des compétences adaptées aux nouvelles réalités économiques.

Enfin, la crise du logement, qui touche l’ensemble de l’Europe, impose une réponse ambitieuse pour garantir un accès à un logement abordable et de qualité pour tous. L’absence d’initiatives fortes sur ce sujet au niveau européen reste une préoccupation majeure pour les acteurs sociaux.

Dans un contexte de retour aux règles du Pacte de stabilité et de restrictions budgétaires, la question du financement de ces ambitions reste ouverte. Pour l’UNSA, il est essentiel que l’Europe sociale ne soit pas reléguée au second plan face aux impératifs économiques et industriels de la nouvelle Commission.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.