Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Marsha P. Johnson

© Teamcolibri.org Marsha P. Johnson
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Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Marsha P. Johnson ?

Figure emblématique de la lutte pour les droits LGBT+, elle milita toute sa vie aux côtés des jeunes sans domicile, des personnes séropositives et des personnes transgenres.

28 juin 1969, New York

Le Stonewall Inn est pris d’assaut par la police venue « faire une descente » dans ce bar gay de Greenwich Village à New York. Les client·es font face, ielles n’ont rien à perdre. Marsha P. Johnson, figure populaire du quartier et de la scène artistique LGBT+, arrive sur place vers 2h du matin.

« L’émeute avait déjà commencé »

La communauté LGBT+ ne se soulève pas seulement contre la police, mais contre l’oppression quotidienne et la peur constante. Cette descente au Stonewall Inn constitue un moment fondateur du militantisme LGBT+. On parle des « émeutes de Stonewall ». Chaque année, les Marches des Fiertés commémorent cet événement fondateur.

Assigné homme à sa naissance le 24 août 1945, elle est la 5e d’une fratrie de 7 enfants. Son père travaille sur une ligne d’assemblage dans une usine General Motors, sa mère est gouvernante. Dès 5 ans, elle met des robes. Elle est un garçon. Noire. En 1950. A Elizabeth, New Jersey. Constamment harcelée, un jour, elle est agressée sexuellement par un adolescent de 13 ans.

A 17 ans, elle part pour New York avec quelques vêtements et $15 en poche.

Une fois installée à Greenwich Village, un quartier éclectique et animé qui accueillait déjà à cette époque une large communauté homosexuelle et transgenre, elle devient Marsha P. Johnson. Le “P” signifie “Pay It No Mind”, “n’y prête pas attention”. Elle se définit comme une personne homosexuelle, travestie et une drag queen [ndlr : le terme “transgenre” n’est pas encore dans les usages].

Elle porte des vêtements colorés et, souvent, une couronne de fleurs. Elle s’aime comme ça mais elle est victime de persécution par la police, comme toutes les personnes LGBT+ dont les activités et l’existence sont criminalisées. Sans domicile fixe, elle squatte à droite à gauche. Elle se prostitue. Elle est aussi serveuse et performeuse drag.

« Je n’étais personne, personne de nulle part, jusqu’à ce que je devienne une drag queen. »

Elle devient rapidement une figure populaire du quartier et de la scène artistique LGBT+. Elle rencontre Sylvia Rivera, une femme transgenre porto-ricaine de 11 ans, qu’elle encourage à embrasser son identité.

Militante pour les droits des personnes LGBT+, elle défile lors de la première Pride parade, marche des fiertés, le 28 juin 1970, réactualisation commémorative desémeutes de Stonewall. Elle est cependant frustrée par l’invisibilisation voire l’exclusion des personnes transgenres et racisées du mouvement.

Cette même année, elle co-fonde avec Sylvia l’association STAR qui vient en aide aux jeunes transgenres sans domicile. Elles créent la STAR House, un espace d’accueil pour ces publics. La première STAR House est à l’arrière d’un camion abandonné. Puis, elles investissent un immeuble désaffecté dont elles sont expulsées quelques mois plus tard.

« Je veux voir mes frères et mes sœurs hors des prisons et dans les rues à nouveau. »

Marsha P. Johnson devient une figure emblématique du mouvement LGBT+. En 1974, Andy Warhol fait d’elle une icône en la photographiant dans sa série de Polaroïds « Ladies and gentlemen », dédiée aux drag-queens. En 1980, elle est invitée dans le char de tête de la Pride à New York.

Cette aura et son optimisme légendaire ne lui empêchent pas une série de dépressions dans les années 1970 et plusieurs séjours à l’hôpital psychiatrique. Toujours prostituée, elle est sans cesse arrêtée par la police.

Dès le début de l’épidémie de SIDA, elle s’engage aux côtés des personnes séropositives et milite dans l’association ACT UP. En 1990, elle est diagnostiquée positive au HIV. Elle parle publiquement de sa condition et lutte contre la peur des personnes séropositives.

Le 6 juillet 1992, quelques jours après la Pride, Marsha P. Johnson est retrouvée morte, noyée dans l’Hudson River. La police conclut au suicide. Ses proches affirment qu'elle n'était pas suicidaire. L’année 1992 détient le record des violences à l’encontre des personnes LGBT+. La police a requalifié l’affaire comme une noyade aux causes indéterminées mais n’a pas poursuivi l’enquête. Des centaines de personnes ont assisté à son enterrement qui fut l’occasion de dénoncer le manque d’intérêt des institutions policières et judiciaires pour ces affaires.

A force d’acharnement, la police rouvre l’enquête sur sa mort en novembre 2012… Pas de nouvelles.

En 2021, un buste de Marsha P. Johnson est érigé à Greenwich Village, à deux pas du Stonewall Inn.

Un square à Lyon porte son nom.