Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Sojourner TRUTH

Sojourner TRUTH

Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Sojourner Truth ? Esclave affranchie, elle fut une figure de premier plan dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage, les droits civiques et les droits des femmes.

Isabella Beaumfree naît esclave vers 1797 dans une communauté néerlandaise du comté d’Ulster, New York.

A onze ans, elle est vendue et mariée contre son gré à Thomas Jeffery Harvey, lui aussi esclave, avec qui elle aura cinq enfants destinés eux aussi à la servitude.

Juste avant que l'État de New York abolisse l'esclavage en 1827, elle s’enfuit de la ferme de son propriétaire avec sa cadette, Sophie, et trouve refuge auprès d'Isaac Van Wagener qui l'affranchit. Elle adopte son nom de famille et, avec l’aide d’amis quakers, se lance dans une bataille juridique pour récupérer son plus jeune fils vendu illégalement en esclavage dans le Sud. Elle gagne.

Isabella Van Wagener n’est plus esclave. Elle est domestique à New York où elle vit avec ses deux benjamins.

Elle se convertit à l’évangélisme en 1843 et obtient sa liberté définitive.

Désormais, elle s’appelle Sojourner Truth.

Prédicatrice itinérante, elle parcourt le Nord-Est et le Midwest pour transmettre ses idées d’un non-sectarisme résolu qui font les liens entre les questions des droits des femmes, de l’abolition de l’esclavage et de la liberté religieuse. Elle se bâtit rapidement une réputation d’oratrice et de pédagogue hors pair alors même que l’Anglais n’est pas sa langue natale.

En 1850, elle publie ses mémoires Narrative of Sojourner Truth qu’elle a dictés à une assistante, Olive Gilbert, puisqu’elle-même ne sait ni lire ni écrire (ce livre a été traduit en Français par Claudine Raynaud… en 2016).

Proche des leaders abolitionnistes, elle rencontre des féministes de la première vague comme Lucretia Mott. En 1851, au cours d’une convention pour les droits des femmes, Sojourner Truth prononce son fameux discours « Ain’t I a Woman ? » (« Ne suis-je pas une femme ? ») – qui donnera son titre au premier essai de l’intellectuelle féministe bell hooks 130 ans plus tard. Elle y revendique son statut d’esclave, de femme, de femme noire.

En rendant la lutte féministe indissociable de la lutte abolitionniste, elle apparaît, aujourd’hui, comme celle qui, la première, a jeté les bases de l’intersectionnalité.

Pendant la guerre de Sécession, elle organise des collectes de fonds et de vivres pour les régiments de soldats noirs volontaires combattant pour l’Union. En 1864, à Washington, elle aide à mettre en pratique l'intégration raciale dans les tramways et est reçue à la Maison-Blanche par Abraham Lincoln. La même année, elle accepte le poste que lui propose la National Freedmen's Relief Association qui soutient et conseille les affranchi·es, notamment en ce qui concerne les migrations et relocalisations.

Après la guerre civile et l’abolition de l’esclavage en 1865, elle lutte contre la ségrégation raciale et la paupérisation, le chômage et le difficile accès à la propriété foncière des personnes noires américaines du Sud. Elle milite avec force pour le droit de vote des personnes noires américaines et des femmes jusqu’à sa mort en 1883. Les femmes blanches pourront voter en 1920. Les personnes noires américaines en 1965.

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