Les livres qui changent le cours d'histoire

Comment Léonard de Vinci est-il devenu un inventeur de génie ?

Comment Léonard de Vinci est-il devenu un inventeur de génie ?

La série "les livres qui changent le cours d'histoire" sur euradio propose aux enseignants une courte présentation d'ouvrages de recherche universitaire en lien avec les programmes du collège et du Lycée. Conçues sur un format court et accessible, chaque notice fournit des clefs d’analyse (notions, concepts), des exemples précis et des documents pour les élèves.

Francis Larran : professeur agrégé d’histoire (2001) et docteur en histoire grecque ancienne (2008), Francis Larran enseigne au lycée Martin Luther King (Bussy-Saint-Georges, 77). Il est l’auteur de plusieurs articles dans des revues scientifiques (françaises comme européennes) et de plusieurs essais portant sur l’historiographie grecque ancienne.

Le livre : Les audaces de Léonard de Vinci de Pascal Brioist

Dans cette biographie novatrice parue en 2019, Pascal Brioist se demande comment Léonard de Vinci (1452 - 1519) est devenu la figure archétypale du génie humain. Il s’attache tout d’abord à retracer la représentation légendaire de Léonard depuis le XVIe siècle : bâtie de son vivant par la fréquentation des princes de son temps (Sforza, François Ier), sa réputation de créateur universel devient celle de l’artiste divinement inspiré sous la plume de l’écrivain toscan Gorgio Vasari (1511-1574). Au XIXe siècle, le romantisme fait encore de lui un génie irrationnel et créatif avant de le présenter, à l’époque de Jules Verne, comme un architecte-ingénieur capable d’annoncer le futur technologique. Après avoir déconstruit le mythe du génie individuel, Pascal Brioist choisit d’interroger la notion de « génie » dans le contexte de la Renaissance.

Loin du cliché du prodige isolé, Léonard de Vinci est d’abord le produit de son siècle. Enfant illégitime d’un notaire né dans une bourgade de la Toscane, il tire de son ancrage rural le goût de l’observation et des apprentissages pratiques. Esprit ouvert, l’artiste-savant multiplie les voyages, les rencontres et les lectures pour s’approprier des savoirs très divers. Formé dans l’atelier florentin d’Andrea Del Verrocchio, il découvre ainsi la culture humaniste (mathématiques, littérature ancienne, esthétique antique), les techniques des peintres flamands (notamment le dégradé atmosphérique de Jan van Eyck et Hans Memling) et les savoirs de l’ingénierie toscane. Son passage dans le monde des corporations lui inculque le goût du travail en équipe, le savoir-faire nécessaire pour investir de nombreux champs artistiques (dessin, peinture, sculpture) ainsi que des méthodes spécifiques pour appréhender le monde qui l’entoure (l’expérimentation, la réflexion par analogie). Comme de nombreux artistes du Quattrocento (Brunelleschi, Botticelli, etc…), Léonard tire ainsi profit de son appartenance à une strate culturelle intermédiaire entre les lettrés et les non-lettrés pour développer une pensée synthétique mélangeant savoirs pratiques et théoriques.

Aussi fécond soit-il, ce bain de culture ne suffit pas à donner naissance au génie. Il faut encore des qualités individuelles exceptionnelles. Illégitime, provincial, homosexuel, ignare aux yeux de la culture élitiste… les obstacles se dressent, nombreux, pour interdire à Léonard l’entrée à l’université ou à la cour des Médicis. Il les contourne cependant. Autodidacte à la curiosité et à l’énergie insatiables, il apprend le latin pour accéder au monde savant et multiplie les lectures pour se doter d’une culture encyclopédique (Pline, Aristote, Galien…). Sociable, il entretient des relations avec les experts militaires de Cesare Borgia (duc de Gandia) comme avec le mathématicien Luca Pacioli, ce qui lui permet d’introduire la géométrie dans ses œuvres d’art. Habile courtisan prompt à trahir ses protecteurs, il réussit à échapper aux mécènes les plus tyranniques (Ludovic Le More, Isabelle d’Este, Cesare Borgia) pour privilégier ceux qui lui concèdent la plus grande liberté de création (Charles d’Amboise, Julien de Médicis, François Iᵉʳ).

La clef du génie léonardien se situe ainsi à la confluence d’un riche univers culturel et d’un « façonnage de soi » exceptionnel. Il lui permet d’échapper au destin auquel semblait le condamner ses origines ignobles (roturier, enfant illégitime) et une formation pratique peu susceptible de lui ouvrir les portes du monde savant. Son sens de l’observation et de l’expérimentation acquis très jeune lui permet également de se démarquer des conceptions héritées des Anciens (Platon, Aristote, Galien). Son imagination et son syncrétisme savant l’aident encore à révolutionner la peinture. Il invente notamment la perspective naturelle, le sfumato ou bien encore la « composition inculte » du dessin préparatoire (le mouvement libre et fluide de la main sur la toile permet l’émergence harmonieuse de la forme parfaite présente dans l’esprit).