La jungle des miroirs

Le deepfake

Photo de Markus Winkler - Pexels Le deepfake
Photo de Markus Winkler - Pexels

Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.

Bonjour Laurence ! Je vous devance aujourd’hui, car c’est moi qui ai une question pour vous : avez-vous vu récemment les annonces de Michel Barnier sur Twitter à propos des véhicules thermiques qui vont êtres limités à 90kmh en 2025, alors que les véhicules thermiques seront toujours limités à 130 kmh ?

Ah oui je vois très bien ! mais j’ai cru comprendre que c’était faux ?

Absolument, c’est un deepfake, et c’est le sujet de notre discussion aujourd’hui. Michel Barnier est bien intervenu lors du Congrès des Assises des départements le 15 novembre, mais son discours a été détourné. La vidéo est plus vraie que nature : Michel Barnier est bien là, c’est bien sa voix qui nous parle, ses lèvres bougent à peu près au même rythme que ses paroles, pourtant, les mots sont modifiés. Et la vidéo a tourné sur internet, faisant réagir les réseaux sociaux comme à leur habitude, au vu du sujet clivant qui est mis en avant. J’ai commencé il y a quelques semaines cette chronique de la désinformation sur le thème de l’IA : j’ai parlé des fermes à troll, des algorithmes, des chatbots. Aujourd’hui, j’aimerais creuser avec vous le sujet des deepfakes qui selon moi représente un grand danger pour nos démocraties.

Comment cela représente t-il un danger exactement ?

Au départ, les deepfakes étaient drôles. Souvenez-vous d’Emmanuel Macron qui dansait en rasta, qui était habillé en rappeur, ou encore Barack Obama qui critiquait ironiquement Donald Trump. Et puis avec les années, les deepfakes ont été utilisés pour des sujets plus sérieux, alors que la technologie ne faisait que s’améliorer. Je peux vous parler du cas de Bella Hadid, en 2023, mannequin d’origine palestinienne, dont on a repris une vieille vidéo alors qu’elle faisait un discours, pour lui faire dire qu’elle soutenait Israël dans le cadre du conflit Israelo palestinien. Même idée que pour Barnier : sa gestuelle, sa voix, mais ce n’étaient pas ses mots.

On peut maintenant faire dire n’importe quoi à n’importe qui, avec des détails technologiques de plus en plus fins.

Et si les deepfakes sont associés à de faux comptes twitter dont je vous parlais plus tôt, ou des sites internet copiés – la fameuse pratique de Typosquatting par exemple – qui semblent également de sources sures ?

Alors dans ce cas, la désinformation est double : le site internet, les comptes twitter – les émetteurs donc – et le le contenu, les photos et vidéo… on peut très facilement s’y méprendre.

Exactement. Le danger donc, selon moi, c’est le risque de perdre toute crédibilité et toute confiance en la parole publique. Si nous ne savons plus reconnaitre lorsqu’un président parle, lorsqu’un chef d’entreprise fait une annonce, comment croire ce qu’on lit, ce qu’on voit ? Nous finirons donc par tout remettre en question, et les instances démocratiques pourraient alors s’effrondrer.

Comment combattre les deepfakes selon vous ?

C’est là toute la question. Pour les journalistes, la question n’est plus seulement de vérifier les faits, mais d’en garantir l’authenticité. Il ne doit pas être question de censure, car comme le disait judicieusement Forbes dans un article récent, dans nos sociétés démocratiques où la liberté d’expression est fondamentale, toute tentative de régulation est quelque chose à manipuler avec mesure, tant le risque est grand de sombrer dans des pratiques liberticides.

Ainsi donc, selon moi, les clés se trouvent dans la technologie. La menace des deepfakes étant bien réelle, de nombreuses sociétés privées comme Thalès, mais aussi des agences publiques se penchent sur le sujet pour les reconnaître et les démasquer rapidement. Car les deepfakes touchent au très sérieux sujet de la fraude à l’identité. Et souvenez vous de la loi de Brandolini qui dit qu’il faut 100x plus d’effort pour contredire une fake news que pour la produire. Avec les deepfakes, c’est démultiplié ! Il faut donc pouvoir les reconnaître vite. Je vois heureusement encore beaucoup d’internautes sur les réseaux dénoncer les vidéos lorsqu’elles sont publiées, et ainsi faire perdre la crédibilité des mots faux immédiatement.

Je crois que vous avez dédié un episode complet sur les DEEPFAKES dans votre podcast de la Jungle des Miroirs ?

Absolument, car le sujet est vaste. Les exemples sont légions, dans les domaines économiques, politiques et géopolitiques, les conséquences à chaque fois pourraient être graves. Mais les solutions sont intéressantes à observer aussi.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.